22 février 2012

[Abbé Philippe Laguérie, ibp] Je crois à un accord pratique.

SOURCE - Abbé Philippe Laguérie, ibp - avril 2001 - 22 février 2012

Je me décide à publier de nouveau ce long article paru dans "Pacte" en avril 2001. Il va faire ses onze ans ! A l’époque, je suis encore de la Fraternité, vais ouvrir saint-Eloi dans un an (2002) et fonder le Bon-Pasteur dans 5 ans (2006). Certes, le temps a passé. Mais les faits nouveaux (Le Motu Proprio de 2007, la levée des excommunications de 2009) loin de l’infirmer, le renforcent plutôt puisqu’ils y sont annoncés. Plus surprenant, l’analyse n’y a pas pris une ride. Elle est devenue, malheureusement, d’une brûlante actualité. La vacuité des discussions doctrinales, avec sa surenchère obligée, y est dénoncée comme l’écueil prévisible de tout accord possible. A moins qu’on ne s’achemine vers le miracle d’un accord pratique, bien sûr ! Je prie ardemment pour cela et n’en rirai pas, promis... Mais il me semble bien tard pour y songer quand tous les indicateurs virent au rouge... Au dedans comme au dehors, et parce qu’on les y a mis. Que m’importe de nourrir quelque fierté d’hier quand je préférerais tellement, aujourd’hui, m’être trompé ! D’ailleurs, ne me serais-je pas trompé en croyant, alors, à un accord pratique (sans compromis) pour la Fraternité ?

Les italiques sont des citations. Les gras ont été rajoutés en cette édition.

Le 14 avril, Rome signifiait à notre supérieur général, Mgr Bernard Fellay, le résultat de la consultation par le pape de la Plenaria (Ensemble des responsables des dicastères romains) réunie le jeudi 22 mars à Rome. Cette lettre, qui laissait manifestement une porte ouverte, affirmait cependant le refus de notre demande, préalable à toute négociation : la liberté universelle pour tout prêtre catholique de célébrer la messe de toujours. L’argument invoqué se trouve être le désaveu qu’une telle mesure ne manquerait pas de faire peser sur le Concile Vatican II.
 
Voila où nous en sommes à cette heure et il me semble nécessaire, après vous avoir informés, de tirer la leçon de ce que j‘appellerai un premier "round". Le moins qu’on puisse dire, c‘est qu’on se trouve dans le cocasse, et même dans le paradoxe le plus complet. On se souvient de l’enthousiasme romain du début. Le cardinal Castrillon égrainait les propositions les plus mirobolantes. Deux d’entre elles méritent notre attention particulière.
 
1) Depuis le mois d’août, l’excommunication de 1988 n’est plus du tout un problème. A Rome du moins. C’est tout de même extraordinaire que cette fameuse censure, qui est depuis 10 ans le paravent exclusif d’un ostracisme commode, puisse s’évanouir aussi simplement, par une banale signature, sans aucune contre-partie : comme par une vraie poudre de Perlimpinpin d’un tout-puissant Merlin l’enchanteur. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Avis à ceux qu’elle terrorise depuis 10 ans. Avis à ceux qui s’en servent si communément pour s’affranchir du seul dialogue qui leur fait peur : avec ces frères non séparés, avec ces catholiques bien plus romains qu‘eux, on l’espère. Ah, tout de même, laissez-nous suggérer ici que ce spectre hideux qui s’évapore plus subtilement qu’un gaz rare, n’avait d’autre consistance que celle d’un fantôme écossais.
 
2) La seconde est cette société de droit pontifical, à juridiction personnelle et universelle, agrégeant dans son sein toutes les composantes traditionnelles (Opus Dei battue !) que nous sert sur un plateau le cardinal Castrillon, sans plus de difficulté qu’il ne s’en est donné pour lever l’excommunication. Le rêve de Mgr Lefebvre bien plus que réalisé : dépassé par la réalité. Le même coup de baguette magique qui nous fait passer, en un tournemain, du statut de vilains petits excommuniés (Avec les avorteurs, les apostats, les "mains violentes" sur le pape et les profanateurs des espèces eucharistiques) nous établit tout de bon dans la congrégation la plus libre, la plus souple, la plus choyée au niveau de la juridiction... On songe au psaume ll2 : « Il relève le pauvre de son fumier, pour le placer avec les princes de son peuple ».
 
Chers amis, signées ou pas signées, ces deux choses restent acquises, définitivement. Le travail que nous faisons est bon puisqu’on veut l’homologuer avec les prérogatives les plus merveilleusement romaines. C’est le cardinal de la congrégation pour le clergé, c’est celui pour la doctrine de la Foi, c‘est le pape lui-même, par leur intermédiaire (c’est sa volonté seule qui fait avancer les choses depuis le début, n’en déplaise aux attardés soixante-huitards de l’épiscopat français), oui ce sont ces personnages qualifiés qui nous disent qu’ « Il n’y a pas plus d’excommunication que d’arêtes dans une dinde » (Selon la formule du curé de Saint-Nicolas en 1988), et encore (selon celle du cardinal Gagnon en 1987, signant le livre d’or d’Ecône) : « Que le merveilleux travail de formation sacerdotale accompli ici rayonne un jour pour le bien de toute la Sainte Eglise ». Jamais plus un quidam de bonne foi ne pourra nier ces deux acquis et quels que soient les délais, ils passeront dans le droit puisqu’ils sont déjà dans les faits. Mais alors, pourquoi ce ralentissement, cet atermoiement, et ces délais qui fatiguent tout le monde, le pape surtout qui n’a pas besoin de cela en ce moment. Deux éléments ici sont décisifs à cerner :
 
l) La FSSPX, parce qu’elle est catholique jusqu’au bout des ongles, n’entend pas régler les choses à son seul profit. Que ses ennemis lui reconnaissent cela, au moins ! Que coûtait à Mgr Fellay cette signature qui le plaçait ipso facto comme l’un des prélats les plus prestigieux de l’Eglise catholique ? Rien... ou presque rien. Mais le "presque" de ce rien n’est pas négociable ; selon la formule du cardinal Eyt : "Tout n’est pas négociable". Ce qui n’est pas négociable, en effet, c‘est que le catholicisme de l’Eg1ise, le trésor de sa Tradition, sa messe donc, fasse l‘objet d’un indult, d`un passe-droit, ne soit pas pour tous, et partout, et toujours. Et voila bien le génie propre de la FSSPX, qu’ elle tient par son fondateur de l‘Eglise Romaine... précisément. Ces trésors qui sont les vôtres, les nôtres, nous ne voulons pas les garder pour nous seuls. Leur nature même nous l’interdit. Nous les tenons déjà, pour nous-mêmes. Que si vous voulez les reconnaitre, ce sera pour ce qu’ils sont : des trésors de l’Eglise catholique destinés, par leur être même, à toute l’Eglise catholique. Toute autre attitude de notre part, comme de la vôtre, serait compromis, incohérence, magouille. Si la Tradition et sa messe sont bonnes (Vous le reconnaissez puisque vous voulez nous les rendre en droit) elles le sont pour tous. Le père de famille doit à tous ses enfants ce qu’il sait être bon pour l’un. Le médecin ne peut réserver qu’à un seul patient le remède qui doit les guérir tous.
 
2) Mais le paradoxe atteint son comble quand l’épiscopat (français en particulier) élève contre ces tractations - qui de toutes manières auront lieu - des objections... doctrinales. Renversement de situation, l’arroseur arrosé : les évêques français viennent au secours de la doctrine, de l’orthodoxie, de la rigueur : la dérive intégriste des évêques ! On les croyait ouverts au seul dialogue… Et finalement voila des doctrinaires hyper-pointus et sourcilleux. Nos objections doctrinales vieilles de 20 ans : l’Eglise du Christ “subsistant" dans l’Eglise catholique, l’Eglise comme "Sacrement" du Salut, le salut universel et cet enfer vide, cette conscience humaine existentialisée et personnalisée au point qu’elle défie toute norme, ces valeurs de salut dans les religions en tant que telles etc. Sans compter ces milliards de divagations progressistes jamais poursuivies, jamais rétractées. Nouveau coup de baguette magique : tout ça n’existe plus et leurs auteurs élèvent des dubia sur l’orthodoxie de notre analyse du mystère pascal ! Comme si ce "mystère pascal" qui est le "passage" du Seigneur, sa croix, sa mort, sa Résurrection, sa rédemption, son sacrifice (La messe en un mot, notre raison de vivre et de combattre) étaient par nous récusés ! En une phrase, que personne ne cite ici (bizarre) saint Paul a résumé ce mystère Pascal pour les siècles des siècles : “ Le Christ, notre Pâques, a été immolé ". Je ne ferai à personne l’insulte d’expliquer cette phrase qui dit tout très clairement et définitivement. Le Christ est notre Pâques et il a été immolé. Que celui qui a encore la Foi comprenne.
 
Et justement voici ma conclusion - surprenante peut-être : Je crois à la possibilité d`un accord pratique et à la vanité totale de discussions doctrinales, à l’heure actuelle. Commençons par ce dernier point. Une discussion doctrinale (et un accord) devraient normalement dicter les conditions d’une entente pratique : qui ne le voit ? Cette dernière me semble cependant indispensable à l’Eglise tandis que la première me semble impossible… Et qu’il faudra bien se passer de celle-ci pour arriver néanmoins à celui-là. Une discussion doctrinale (et un accord) supposent de toute évidence qu’on marche à la même lumière. I1 est déjà difficile de tout voir semblablement sous un éclairage identique. Mais c’est gageure que de prétendre arriver à des conclusions semblables quand on part de prémices contradictoires. Tout débat doctrinal et théologique doit avoir pour seul éclairage la Foi, la Révélation, la lumière divine. Or tel n’est plus depuis longtemps l’éclairage des théologiens conciliaires, sans n’en juger aucun en particulier. Quand le document conciliaire " dignitatis humanae " énonce que : " Tout homme a droit à la liberté religieuse " et que cette liberté consiste en ce que nul ne soit empêché d’agir, en privé ni en public contre sa conscience, etc. on est manifestement sorti de l’éclairage de la Foi catholique, surtout à prétendre que c’est là un droit de la personne humaine en tant que telle, a raison de sa dignité native et inamissible. Il n’y a pas, il n’y aura jamais la moindre discussion théologique sérieuse sur ces prémices qui se situent contre et même en dehors de la Révélation. C’est là l’intuition primordiale de Mgr Lefebvre. Il a vu, oui vu, dans ces textes, et beaucoup d‘autres, la mort de la Foi, donc de la Révélation, donc de la Parole divine ; bref, de la seule lumière qui peut réconcilier intellectuellement les hommes pécheurs. On perd son temps, et peut-être son âme, à ces discussions qui n’aboutissent jamais pour le motif évident qu’elles n‘ont pas la moindre problématique commune. Est-ce à dire que je suis contre tout accord ? Non, au contraire ! Si un accord doctrinal ne sera possible que dans 20 ou 30 ans, ce n’est pas une raison pour y renoncer. Il est même urgent de se retrouver dans la communion liturgique et sacramentelle de l’Eglise de toujours pour que, faisant pareil on finisse par penser pareil. Le vieil adage " Lex orandi, lex credendi " trouve ici tout son sens pastoral. Prions de la même manière et nous finirons par penser de la même manière... C’est inéluctable. Ce qui a divisé l’Eglise (même avant le concile et la nouvelle messe) c’est la liturgie. Ce qui lui rendra l’unité, c’est la liturgie. Tout curé et pasteur d’âme sait cela d’emblée : ce qui unifie son troupeau, c’est l’unicité de sa messe. ll est indispensable et urgent que Rome libéralise la messe. Ce serait le petit début d‘une grande retrouvaille ; tandis que des discussions doctrinales, aujourd`hui, mèneraient au constat d’un échec définitif.
 
Abbé Philippe Laguérie