4 septembre 2013

[Renaissance Catholique] L’ultime repos d’un chevalier français

SOURCE - Renaissance Catholique - 4 septembre 2013

Hélie Denoix de Saint Marc a rejoint ses compagnons d’infortune et de souffrance. Il a mis ses pas dans les traces de ceux qui ont écrit de leurs larmes et de leur sang l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle : déportés de Buchenwald, paysans tonkinois abandonnés à la vindicte du Viet Minh, légionnaires tombés pour l’Empire, harkis livrés au couteau du FLN, pieds-noirs torturés ou assassinés par les gendarmes mobiles du colonel Debrosse, etc. Brillant officier dans un des plus prestigieux régiments de l’Armée française, le 1er REP, il n’a pas cru que la discipline et l’obéissance le déliaient des engagements pris vis-à-vis des Français, musulmans ou chrétiens, d’Algérie. C’est ainsi qu’il rejoignit, à la tête de son régiment, le putsch des généraux, le 21 avril 1961, puis assuma ses choix lors de son procès. 

Il est convenu de qualifier Hélie de Saint Marc, et ceux qui firent comme lui le choix de l’honneur et de la fidélité, de « soldats perdus ». L’expression est juste si elle signifie que les valeurs traditionnelles de l’Armée française : honneur, patrie, discipline, fidélité, courage, respect de la parole donnée… sont aux antipodes de celles de la société de consommation libéralo-socialiste, mélange nauséabond d’hédonisme libertaire, de droit-de-l’hommisme larmoyant et de boboïsme branché. Que peut comprendre la classe politico-médiatique qui nous dirige au constat serein d’Hélie de Saint Marc lors de son procès: «Monsieur le président, j’ai donné 20 années de ma vie à la France»?

Hélie de Saint Marc ne fut jamais un ancien combattant. Révélé au grand public en 1988 par Laurent Beccaria, puis en 1995 par son admirable autobiographie Les Champs de braises, il poursuivait une réflexion riche et exigeante de « soldat qui réfléchit » sur le sens de ses engagements et sur celui de la vie. S’adressant à la jeunesse d’aujourd’hui, il lui avait livré un véritable testament spirituel : Que dire à un jeune de 20 ans? dont tous les Veilleurs opposés à la dénaturation du mariage pourraient faire leur miel (texte ci-après).

Élevé en 2011 à la dignité de Grand-croix de la Légion d’honneur, Hélie de Saint Marc nous délivre un message qui traverse le temps : par-delà les jugements des hommes, leurs ordres et leurs lois, il y a les lois éternelles voulues par les dieux dont la synthèse la plus aboutie est contenue dans le Décalogue.

Dans ses Mémoires et ses entretiens, en particulier avec Guillaume Roquette et Inés de Warren (Ce que je crois), Hélie de Saint Marc revient souvent sur l’admiration qu’il éprouve pour sa mère qui croyait tout naturellement, sans effort, toutes les vérités de notre religion catholique. Il nous fait, quant à lui, part de ses doutes, nous rappelant ainsi que la foi est un don de Dieu. Quant à nous, nous ne doutons pas que le Dieu des miséricordes ait accueilli son fils, en bon et fidèle serviteur, qui s’est tant dépensé et a tant souffert au service de Sa fille aînée. RC
« QUE DIRE À UN JEUNE DE 20 ANS » 
Quand on a connu tout et le contraire de tout, quand on a beaucoup vécu et qu’on est au soir de sa vie, on est tenté de ne rien lui dire, sachant qu’à chaque génération suffit sa peine ; sachant aussi que la recherche, le doute, les remises en cause font partie de la noblesse de l’existence. 
Pourtant, je ne veux pas me dérober, et à ce jeune interlocuteur, je répondrai ceci, en me souvenant de ce qu’écrivait un auteur contemporain : « Il ne faut pas s’installer dans sa vérité et vouloir l’asséner comme une certitude, mais savoir l’offrir en tremblant comme un mystère. » 
À mon jeune interlocuteur, je dirai donc que nous vivons une période difficile où les bases de ce qu’on appelait la Morale et qu’on appelle aujourd’hui l’Éthique, sont remises constamment en cause, en particulier dans les domaines du don de la vie, de la manipulation de la vie, de l’interruption de la vie. 
Dans ces domaines, de terribles questions nous attendent dans les décennies à venir. Oui, nous vivons une période difficile où l’individualisme systématique, le profit à n’importe quel prix, le matérialisme, l’emportent sur les forces de l’esprit. 
Oui, nous vivons une période difficile où il est toujours question de droit et jamais de devoir et où la responsabilité qui est l’once de tout destin, tend à être occultée. 
Mais je dirai à mon jeune interlocuteur que malgré tout cela, il faut croire à la grandeur de l’aventure humaine. Il faut savoir, jusqu’au dernier jour, jusqu’à la dernière heure, rouler son propre rocher. La vie est un combat. Le métier d’homme est un rude métier. Ceux qui vivent sont ceux qui se battent. 
Il faut savoir que rien n’est sûr, que rien n’est facile, que rien n’est donné, que rien n’est gratuit. Tout se conquiert, tout se mérite. Si rien n’est sacrifié, rien n’est obtenu. 
Je dirai à mon jeune interlocuteur que pour ma très modeste part, je crois que la vie est un don de Dieu et qu’il faut savoir découvrir, au-delà de ce qui apparaît comme l’absurdité du monde, une signification à notre existence. 
Je lui dirai qu’il faut savoir trouver à travers les difficultés et les épreuves, cette générosité, cette noblesse, cette miraculeuse et mystérieuse beauté éparse à travers le monde, qu’il faut savoir découvrir ces étoiles, qui nous guident où nous sommes plongés au plus profond de la nuit et le tremblement sacré des choses invisibles. 
Je lui dirai que tout homme est une exception, qu’il a sa propre dignité et qu’il faut savoir respecter cette dignité. 
Je lui dirai qu’envers et contre tous il faut croire à son pays et en son avenir. 
Enfin, je lui dirai que de toutes les vertus, la plus importante, parce qu’elle est la motrice de toutes les autres et qu’elle est nécessaire à l’exercice des autres, de toutes les vertus, la plus importante me paraît être le courage, les courages, et surtout celui dont on ne parle pas et qui consiste à être fidèle à ses rêves de jeunesse. 
Et pratiquer ce courage, ces courages, c’est peut-être cela « L’Honneur de Vivre » 
Hélie de Saint Marc