4 octobre 2013

[Mikael Corre - Le Monde des Religions] Saint-Nicolas-du-Chardonnet : des traditionalistes grand cru

SOURCE - Mikael Corre - Le Monde des Religions - 4 octobre 2013

Dans cette petite place forte du catholicisme intégriste, au cœur du Ve arrondissement parisien, les trois messes quotidiennes sont célébrées en latin, selon le rite tridentin. Nous avons passé une matinée à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Reportage.

Soutanes noires dans un chœur de bois sculpté. Saint-Nicolas-du-Chardonnet s’éveille en prière. Les laudes viennent de se terminer, dans cette église du Ve arrondissement parisien. Une lumière bleutée vient éclairer Le Baptême du Christ peint par Camille Corot, dans une petite chapelle latérale. Quelques fidèles, à genoux, tête penchée – recouverte d’une mantille (léger voile) pour les femmes – attendent le début de la messe de 7 h 45. La petite assemblée est hétéroclite : quelques jeunes, des hommes en costume venant prier avant le travail et des vieilles femmes, assises dans les premiers rangs. La messe sera célébrée en latin, selon le rite tridentin (codifié lors du concile de Trente) employé dans l'Église catholique jusqu'à la réforme liturgique entreprise par Paul VI à la fin des années 1960. Une réforme liturgique non adoptée par la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X dont les prêtres officient à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Ce mouvement schismatique (hors de l'Église catholique) anti-moderne et intégriste occupe illégalement cette église depuis le 27 février 1977, où ses fidèles vinrent célébrer une messe et chasser l'abbé de la paroisse. Depuis, ils restent indélogeables malgré les avis d’expulsions.
Nostalgiques de l'Algérie française
Tourné vers l'autel, face à l'abside, dos à l'assemblée, le prêtre ne laisse voir aux fidèles que le Christ en gloire brodé de fils d’or sur sa chasuble pourpre. Sur les côtés, des petites chapelles latérales émergent de la grisaille du déambulatoire. Elles cachent au premier regard tableaux, sculptures, ex-voto (plaque de remerciements pour une grâce reçue), bougies, et – en journée – prieurs agenouillés. Dans l’une d’elle, une Vierge noire étend les bras. Elle est le fac-similé de la statue de Notre-Dame-d’Afrique. L'original, en bronze, se trouve dans la basilique d’Alger où elle est accompagnée de l'inscription suivante : « Notre Dame d'Afrique, priez pour nous et pour les musulmans. »

À Saint-Nicolas-du-Chardonnet, le message est différent : la Vierge trône au-dessus d’une plaque commémorative pour « toutes les victimes tombées pour leur fidélité à l’Algérie française ». Car cette église est devenue le temple de la frange la plus radicale des nostalgiques de l'Algérie française, ainsi que de certains proches du Front national et de l’Institut Civitas, mouvement intégriste engagé dans la lutte contre la « christianophobie ». Qu'en pense le prêtre de permanence, qui accueille les fidèles et confesse dans une petite salle proche de l'entrée ? « L’assimilation à l’extrême droite est commune chez les journalistes. Elle ne mange pas de pain et nous fait beaucoup de tort », regrette-t-il. Tout juste sorti du séminaire de la Fraternité, situé à Écône en Suisse, il précise : « Je ne dirais pas que nous avons des liens avec des personnes de droite, juste que nous sommes en cohérence avec l’idée de la droite. »

En l’occurrence, pour ce jeune homme de 25 ans tout juste arrivé à Paris, il s'agit d'un cocktail d’antimodernisme et d’antilibéralisme. Sans véhémence, dans un discours parfaitement calme et rodé, il voue à la même géhenne, homosexualité, homoparentalité, avortement, œcuménisme, protestantisme, dialogue interreligieux, liberté religieuse, islam. Mais aussi l'internet « qui a détruit beaucoup de couples », à cause – explique-t-il – de l'omniprésence de la pornographie et des sites de rencontres.
Une communauté schismatique
Peu avant midi, un homme prie seul dans la nef. Ce qu’il vient chercher à Saint-Nicolas-du-Chardonnet ? « Une belle liturgie et des prêtres qui s’en tiennent aux sacrements. » Se sent-il catholique ? « Pleinement. » La Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X n’est pourtant pas en odeur de sainteté au Vatican, depuis l’excommunication, en 1988, de son fondateur Mgr Lefebvre et des quatre évêques qu'il a alors ordonné, virulents opposants au concile Vatican II (1962-1965) et plus particulièrement à la réforme de la liturgie et au dialogue interreligieux. Le Saint-Siège ne reconnaît à la Fraternité aucun statut canonique et ses prêtres « n'exercent aucun ministère légitime », selon la lettre apostolique Ecclesia Dei.

Pourtant, le pontificat de Benoît XVI augurait un rapprochement : le 21 janvier 2009, le pape lève l'excommunication des évêques de la Fraternité. Mais cette levée ne signifie pas réintégration dans l'Église. Et les négociations sont aujourd'hui au point mort, la condition sine qua non à une reconnaissance par les institutions catholiques étantl'acceptation de Vatican II par la Fraternité. Mais toutes ces histoires n’intéressent guère le dévôt de midi : les excommunications, la réintégration dans l’Église, « ce sont des histoires qui ne nous concerne guère. Des histoires de curés, et les histoires de curés, moins on s’en mêle, mieux on se porte».
Entre condamnation et miséricorde
À la fin de la messe de 12h15, sur le parvis de l’église, le jeune prêtre salue quelques paroissiens. Un homme s’approche, le regard grave. Chapeau de cowboy en cuir et cheveux longs, il ne ressemble guère au fidèle type. Au jeune en soutane, il parle de son frère, un « chrétien traditionnel », qui s'est donné la mort et fut enterré sans sépulture chrétienne. Qu'en sera-t-il du salut de son âme ? Il a décidé de poser la question à un représentant de la tradition religieuse que son frère avait choisi. « Dans le cas d’un suicide, s’élance le prêtre, sûr de lui, il faut rassembler des preuves extérieures pour savoir s’il s’est suicidé en toute connaissance de cause. Si on peut prouver qu’il n’était pas lui-même au moment des faits, on peut envisager quelque chose. On ne va tout de même pas vouer à la damnation des gens qui, poussé par la maladie par exemple, vont se jeter sous un train ! Après, si c’était prémédité, c’est autre chose. On ne peut pas tout… » La phrase s’arrête. Il manque un mot. Relativiser ? L'ecclésiastique reprend : « Après, on peut toujours dire une messe, on peut dire des messes pour n’importe qui, la prochaine est à 18 h 30, revenez me voir plus tard à l'accueil. » L’homme s’en va. Pas sûr qu'il revienne. Sans doute n’a-t-il pas trouvé ce qu’il était venu chercher. Peut-être était-ce ce que la tradition chrétienne appelle de la miséricorde ?