15 septembre 2013

[Abbé Le Roux, fsspx - Séminaire de Winona] Années Folles

SOURCE - Abbé Le Roux, fsspx - Recteur du Séminaire de Winona - septembre 2013

Kyrie eleison, Christe eleison, Kyrie eleison.

Telles sont les premières invocations qui ouvrent toutes les litanies répertoriées dans nos livres de prières.

D’autres ont fait plus récemment leur apparition : celles de nos plaintes et complaintes, qui constituent autant d'invectives contre le monde dans lequel nous vivons ; comme si la Providence nous avait joué un sale tour en nous faisant vivre à une telle époque, comme si nous ne devions pas être le sel de la terre, comme si nous n'avions rien à proposer à ce monde déboussolé.

Et si ces litanies modernes n’étaient rien d’autre qu’un aveu d'impuissance et une preuve de notre lâcheté ? Notre union au Christ est-elle devenue si relâchée que nous en oublions son caractère sacré ? Notre vie chrétienne ne pèche-t-elle pas terriblement et dramatiquement par défaut de vie intérieure ?

En vérité, si l’on considère le fond des choses, ces litanies stériles et nauséabondes ne reprochent rien au monde, mais à Dieu. Car, barbotant dans le marécage de notre médiocrité, nous nous élevons contre l'ordre de la Providence qui nous fait la grâce de vivre et de vivre en cette époque choisie.

Est-ce dire que nous devons dès lors sombrer dans un optimisme béat et louer notre époque comme étant un âge d'or de l'humanité et un sommet de l'histoire et de la civilisation ? Non, bien entendu, de ce point de vue les faits répondent d'eux-mêmes.

Nous devons nous méfier comme de la peste de ces positions extrêmes qui trahissent un manque d'équilibre. Sachons raison garder et redonnons à l'intelligence son rôle en nous forçant à juger selon la droite raison.

Quel est donc le jugement que nous pouvons porter sur ce monde ?

Par un étrange retour de balancier, sommes-nous revenus aux années folles du siècle passé ? En d'autres termes : notre monde est-il devenu fou ? Comment expliquer sinon toutes les turpitudes qui s'étalent au grand jour sans vergogne ?

Non, notre monde n'est pas devenu fou. La nature de son mal est autre et il est de notre devoir de le découvrir. Nous verrons alors, de manière éclatante, que les litanies de nos plaintes et de nos complaintes ne sont pas seulement vaines mais dangereuses.

Au-delà des scandales qui chaque jour nous abreuvent, nous devons chercher la nature profonde du monde moderne, sa caractéristique propre.

Nous vivons en un monde où tout ordre est bouleversé. La nature elle-même semble gémir de ce désordre qui lui est imposé et plus personne ne doute que nous sommes à la veille d'une catastrophe écologique sans précédent et incontrôlable. Nous avons perdu le sens de l'histoire et vivons dans l'instant comme des particules en accélération permanente ; ne prenant plus le temps de nous arrêter, de penser, de décider et de respecter les rythmes naturels qui nous conduisent et nous protègent. Nous vivons en un monde pressé où tout se bouscule et s'entrechoque.

Ce désordre est une signature.

Surtout lorsque ce désordre est institutionnalisé.

Le désordre qui tyrannise le monde moderne se présente comme la règle habituelle de nos actions, la norme qu'il faut suivre au mépris de tout ordre.

Ce désordre qui flatte les parties les plus viles de notre nature n'est au fond qu'un carcan doré qui devient vite une prison de laquelle il devient impossible de s'échapper. Notre monde est devenu par la force de cette institutionnalisation du désordre une caverne d'esclaves atteints du syndrome de Stockholm. Ce syndrome décrit la dépendance qui s'établit entre la victime et ses bourreaux au cours de laquelle la victime a besoin d'être tyrannisé par ses bourreaux.

Sœur Lucie de Fatima a eu le mot juste pour décrire notre époque lorsqu'elle parla de "désorientation diabolique".

La marque de notre époque est celle de Satan. Notre monde est satanique.

Prince de l'ombre qui aspire à vivre dans la lumière, Satan ne peut s'empêcher de laisser sa marque de manière de plus en plus apparente et il ne faut pas être grand clerc pour la découvrir à chaque pas. Elle éclate partout : du monde politique à celui du spectacle, sans oublier de souligner, avec douleur, qu'elle n'est point absente malheureusement dans l'Eglise elle-même.

Il nous faut le savoir et nous tenir sur nos gardes. Mais l'heure n'est pas aux plaintes ni aux complaintes. Celles-là ne répondent absolument pas au défit de l’attaque diabolique et nous enfoncent, bien au contraire, dans un désespoir sans fond. Comment prétendre lutter contre le démon si nous tombons dans son piège favori ? Le désespoir est aussi une signature infernale.

Bien au contraire, l'heure est à l'espérance car celle de notre libération a déjà sonné.

Elle a sonné au Golgotha, fondamentalement. Sur la croix, le Christ a vaincu le démon irrémédiablement. Elle sonne encore aujourd’hui : le comportement actuel de Satan le montre assez. En se dévoilant de plus en plus ostensiblement, le démon se trahit. Il se dévoile car il sait que ses heures sont comptées, alors il tente de faire feu de tout bois. Se dévoiler est, pour lui, le signe certain d'une fin de règne. Il a certes, encore, une formidable puissance de nuisance mais ce pouvoir est lié à tout jamais par le sang rédempteur et il n'est plus maître du jeu comme il l'était avant. Il sait, et nous le laisse savoir si nous voulons bien le comprendre, que son temps est désormais révolu.

Alors, quel comportement adopter ?

Celui de la lucidité : nous devons avec fougue choisir de nous engager dans la voie qui nous a été tracée par la Vierge Mère tant de fois et de manière si miséricordieuse. Puisque nous devons aller au combat contre le démon et que ses forces ne peuvent être vaincues par les nôtres, il est temps de nous tourner vers ces remèdes maternels que notre Bonne Mère du ciel nous a donnés. Prions le Cœur Immaculé de Marie, consacrons-nous à Lui, revêtons l'armure de la pénitence et prenons nos chapelets.

Vivons d'espérance. Prenons la mesure de l'enjeu, ne le nions pas, ne le diminuons pas également mais surtout ne nous effrayons pas, engageons-nous avec foi. Le Christ est avec nous sans faillir jusqu'à la fin du monde et notre victoire sur le monde est notre foi.

In Christo sacerdote et Maria.

Abbé le Roux