6 septembre 2014

[Anne Le Pape - Présent] Entretien avec les Pères Lecareux et Jean-Noël de la Fraternité de la Transfiguration

SOURCE - Propos recueillis par Anne Le Pape - Présent - 6 septembre 2014

Mérigny : un îlot d’espérance - La Fraternité de la Transfiguration demeure bien connue d’un certain nombre de nos lecteurs, notamment par le biais des Journées chouannes de Chiré, car les Pères en assurent en partie la célébration des messes du dimanche. Mais il s’agit aujourd’hui d’une présentation remise à jour, puisque nous avons eu la chance de rencontrer ceux qui ont été les trois Supérieurs successifs de la Fraternité, même si le Père Jean-Marie, l’actuel Supérieur, n’a eu que le temps de poser pour la photo avant de filer vers Le Blanc pour une cérémonie…
Entretien avec le R.P. Lecareux, le fondateur : 50 ans de sacerdoce
— M. l’abbé, vous venez de fêter votre jubilé : 50 ans de sacerdoce ! Vous êtes le fondateur de la Fraternité de la Transfiguration, mais vous venez de Suresnes, dans la région parisienne. Comment êtes-vous arrivé au fin fond du Berry ?
— En effet, j’étais prêtre à la paroisse du Cœur-Immaculé de Marie, à Suresnes. Je pensais beaucoup à la vie religieuse et surtout au rapprochement avec les chrétiens séparés. Je connaissais bien les milieux orthodoxes, notamment de la rue Daru, à Paris. Mon directeur spirituel, Mgr Germain, qui appartenait à l’œuvre d’Orient et avait connu Mgr Ghika, m’a dit : « Lisez Mgr Ghika ! » Voilà un martyr qui a souffert pour l’unité. Je n’en connaissais alors que ce que tout le monde connaît. Je l’ai découvert depuis, et nous travaillons sous son patronage. 
Nous étions en pleine époque de changements dans l’Eglise, de remises en question. Mon évêque ne savait que faire de moi, qui étais opposé à toutes les nouveautés, aux changements dans le catéchisme, aux inepties liturgiques… Or le Père abbé de Fontgombault, Dom Roy, cherchait des prêtres pour les établir dans les paroisses sous la dépendance du monastère. Je travaillais à l’époque sur les statuts d’une communauté. Un été, j’ai rejoint les Routiers de Suresnes, en retraite au monastère, et j’y ai rencontré Dom Duvergne, moine venu de Solesmes après la guerre, aumônier de scouts. C’est lui qui m’a signalé que le Père abbé voulait justement une communauté ayant cet esprit. Voilà comment je suis arrivé dans ce diocèse, en septembre 1970. Mgr Vignancour, évêque de Bourges, était quelqu’un avec qui on pouvait discuter, et j’ai obtenu l’accord de Mgr Delarue, évêque de Nanterre. 
On m’a finalement confié, non la paroisse de Fontgombault mais celle de Mérigny, car mon prédécesseur était mort six mois auparavant. Il fallait aussi s’occuper de Sauzelles, d’Ingrandes… Dans les deux ou trois ans qui ont suivi, j’ai accueilli quatre jeunes gens, venus de Suresnes, qui avaient la vocation : le Père Jean-Marie en 1973, le Père Jean-Noël en 1974, puis le Père Bernard et le Père Philippe.
— Le Berry est connu pour ses sorciers. S’agit-il d’une légende infondée ou est-ce toujours d’actualité ?
— Hélas ! oui, la sorcellerie n’a jamais vraiment été éradiquée. L’origine des mots « paganisme » et « païen » est la même que celle de « paysan »…
— Combien la Fraternité dessert-elle aujourd’hui de lieux de culte ?
— Nous desservons sept lieux de culte, en comptant nos deux maisons de Mérigny et d’Assais, là où est notre noviciat. L’année de spiritualité et les deux années de philosophie se déroulent à Assais, puis les années de théologie ont lieu à Mérigny (1) Nous desservons également Montluçon, Limoges, Angoulême, Poitiers et Niort.
— Et les écoles ?
— Nous assurons l’aumônerie et la direction spirituelle de deux écoles dirigées par des laïcs, l’école Notre-Dame du Sacré-Cœur à La Peyratte et le cours Saint-Martin, à Niort. 
— Combien avez-vous de prêtres et de religieuses ? 
— Nous avons dix prêtres religieux : j’insiste sur le cadre de la vie religieuse, qui protège notre sacerdoce. Nous avons cinq frères, dont deux se préparent à devenir prêtres ; et dix religieuses, la plupart dans leur maison de Mérigny et trois à Lamairé, dans les Deux-Sèvres. Elles nous aident énormément pour l’apostolat, le catéchisme des enfants, la visite des malades etc. 
— Serez-vous cette année aux Journées chouannes de Chiré ?
 — J’en assurerai la conclusion spirituelle le dimanche.
Entretien avec le Père Jean-Noël : trois mandats à la tête de la Fraternité
— Mon père, vous avez bien assuré trois mandats à la tête de la Fraternité ?
— C’est exact. Le troisième était exceptionnel car, d’après nos statuts, on ne peut remplir que deux mandats. Mais Mgr de Galarreta (2) avait donné cette autorisation, considérant que cela ne pouvait que stabiliser notre jeune Communauté. Je suis donc resté Supérieur de 1995 à 2013.
— Quels sont les liens entre votre Fraternité et Ecône ?
— Nous faisons partie des Communautés amies de la Fraternité Saint-Pie X, qui profitent de l’apostolat de ses évêques, notamment pour faire ordonner leurs prêtres. Il serait difficile pour nous de faire ordonner nos prêtres par des évêques diocésains. Il y aurait des conditions inacceptables comme l’obligation d’une formation religieuse au sein d’une communauté « reconnue », ou celle de célébrer la nouvelle messe, de reconnaître tout le Concile, de s’insérer dans la pastorale du diocèse en reconnaissant « l’œcuménisme »…
— Quelle est la diffusion de La Simandre, votre bulletin ? Il y figure des études fouillées et fort intéressantes du Père Damien-Marie sur l’évangélisation des Indes ou les différents rites orientaux. Est-il prévu de les éditer ?
— La Simandre compte 3 000 abonnés : nos amis, nos fidèles, et les amis de nos amis… Rassembler ces articles dont vous parlez en volume, oui, c’est en projet.
— La béatifiation de Mgr Ghika, le 31 août dernier à Bucarest, a dû vous remplir de joie?
— Ce fut une grande joie pour nous, effectivement. On ne peut contester cette béatification car, pour un martyr – or Mgr Ghika est mort martyr de la foi catholique dans les geôles roumaines en 1954 – il n’est nul besoin de miracle.
Mgr Ghika, né dans l’orthodoxie et converti au catholicisme, nous rappelle ce qu’est le véritable œcuménisme : le retour à l’unité romaine des chrétiens qui se sont séparés de l’Eglise au cours des siècles. Celui auquel fait allusion le unire de notre devise, accompagnant notreadorare, rappelant, lui, le primat de la prière, et notre servire, qu’illustre notre apostolat dans les paroisses, les retraites, les pèlerinages…
— Il fut un temps où vous étiez au presbytère de Mérigny ; vous êtes désormais installés au Bois, à quelque distance dans la campagne…
— Au départ, le but était que nous exercions notre apostolat dans les paroisses mais, à cause de notre fidélité à la Tradition, ces paroisses nous ont été retirées. Cependant, dès 1976, le presbytère s’est avéré trop petit. Nous avons donc acheté Le Bois, une ancienne ferme que nous avons transformée en maison religieuse. La belle grange en est devenue l’église. Nous avons bâti une hôtellerie pour retraitants, car nous organisons des retraites : pour messieurs, dames et pour foyers : il est bon de recevoir des grâces ensemble et de repartir ainsi plus forts. Les foyers que nous accueillons ne sont pas toujours de jeunes foyers : même sur le rôle de grands-parents, la retraite peut apporter un éclairage.
Nous assurons aussi une formation au chant grégorien. Le Centre Saint-Pie X a été fondé par le chanoine Robin, avec la collaboration du Père Damien-Marie, lequel continue à s’en occuper avec des laïcs compétents. Trois sessions annuelles se déroulent au Bois, pour la formation des débutants, des chefs de chœur et des organistes.
— Comment souhaitez-vous conclure, mon père ?
— Le Bon Dieu travaille dans les âmes. Nous n’avons que trop tendance à voir les méfaits de la crise actuelle, en oubliant le travail de l’Esprit Saint, qui est à l’œuvre aujourd’hui, dans nos communautés et ailleurs.
L’Eglise ne se limite pas à la Tradition. Nous ne devons pas penser que nous sommes les seuls à œuvrer pour le règne de Dieu. Nous constituons une force vive au sein de l’Eglise pour l’aider à se relever et nous gardons, malgré cette crise du haut clergé, un attachement indéfectible au siège romain.