23 septembre 2014

[Paix Liturgique] Un curé dont le cœur est habité par la paix liturgique

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 458 - 23 septembre 2014

Un témoignage exemplaire à propos du prochain pèlerinage "Summorum Pontificum"
Benoît XVI, entouré de Cosimo Marti (Juventutem)
et de Giuseppe Capoccia (pèlerinage 'Populus
Summorum Pontificum'), le 1er septembre 2014.
Notre lettre de cette semaine reprend l’entretien donné par le curé d’une paroisse de l’Oklahoma, le père Timothy Davison, à Alberto Carosa, correspondant à Rome de Catholic World Report. Le père Timothy Davison, qui célèbre la forme extraordinaire depuis seulement moins de deux ans, guidera un groupe de pèlerins lors du prochain pèlerinage du peuple Summorum Pontificum à Rome.

Que trois cardinaux de premier plan célèbrent les trois messes pontificales dans la forme extraordinaire du rite romain prévues lors du prochain pèlerinage du peuple Summorum Pontificum à Rome devrait en soi n’avoir rien d’étonnant. À savoir, le cardinal Pell en la paroisse personnelle de la Trinité des Pèlerins, le vendredi 24 octobre ; le cardinal Burke, le 25 octobre en la basilique Saint-Pierre ; et le cardinal Brandmüller, le dimanche 26 chez les bénédictins de Nursie pour la fête de Christ-Roi. Plusieurs vaticanistes, dont Sandro Magister (voir ici) ont souligné l’importance de la participation de l’un des cardinaux les plus en vue de la “nouvelle” Curie du pape François, le cardinal George Pell, Préfet du tout nouveau Secrétariat pour l’économie du Saint-Siège, qui ouvrira ces célébrations.

En fait, l’ancien archevêque de Melbourne – qui n’a pas craint de prendre position dans le débat préalable au Synode d’octobre en faveur de l’indissolubilité du mariage – a toujours été bienveillant envers la liturgie traditionnelle, qu’il célèbre de temps en temps. C’est d’ailleurs en raison de l’affection qu’il porte à la fédération internationale Juventutem, association internationale des jeunes attachés à la messe traditionnelle, qu’il a accepté de célébrer la première messe du pèlerinage qui sera dite en action de grâces pour le dixième anniversaire de Juventutem survenu cette année. C’est aussi pour s’associer à ce dixième anniversaire de Juventutem que Benoît XVI a reçu, le 1er septembre dernier, l’un des fondateurs de l’association, Cosimo Marti, accompagné du délégué général du pèlerinage Summorum Pontificum, Giuseppe Capoccia.

Il est intéressant de noter qu’un nombre toujours plus important de prêtres du monde anglophone, y compris de prélats, se sentent attirés par la liturgie romaine traditionnelle. À cet égard, les États-Unis peuvent même apparaître comme un des avant-postes de cette remontée de la messe traditionnelle, et c’est bien ce qu’illustre l’entretien accordé par le père Timothy Davison, curé de la paroisse Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Tulsa, dans l’Oklahoma, à Alberto Carosa.
I – ENTRETIEN AVEC LE PÈRE TIM
1) Père Davison, pourquoi vous joindre au troisième pèlerinage du peuple Summorum Pontificum à Rome ?
Père Tim : Cela ne fait pas longtemps, guère plus d’un an et demi, que je célèbre la messe traditionnelle et, quand j’ai été invité à participer au pèlerinage comme chapelain d’un groupe de fidèles j’ai dû y réfléchir sérieusement. J’ai la charge d’une paroisse et d’une école, ce qui représente beaucoup de travail. Finalement, j’ai décidé que j’en avais besoin, que j’avais besoin de me retrouver avec d’autres personnes qui font l’expérience de cette liturgie et de sa richesse. La liturgie traditionnelle m’attirait depuis longtemps et j’y ai vu une occasion de partager avec d’autres cet événement dans la vie de l’Église.
En un mot, j’ai décidé de participer pour trouver être soutenu et soutenir ceux qui célèbrent la liturgie traditionnelle.
2) Qu’est-ce qui vous a amené à célébrer la messe traditionnelle ?
Père Tim : Pendant un temps, j’ai eu comme directeur spirituel un moine bénédictin, le Père Mark Kirby (1), connu pour avoir écrit le livre “Abuse Of The Holy Eucharist Is A Cancer At The Heart Of The Church!” [Les abus de la Sainte Eucharistie sont un cancer au cœur de l’Église]. Il a eu une grande influence sur mon intérêt pour la liturgie et son histoire, en particulier la liturgie traditionnelle. À travers son influence et celle des moines d’un monastère de notre diocèse, m’est venu le désir d’apprendre cette liturgie et de la célébrer. D’autant plus que ma mère, âgée de 94 ans, m’a demandé d’avoir le rite traditionnel pour ses funérailles.
Pour toutes ces raisons j’ai demandé à la Fraternité Saint-Pierre, présente dans notre diocèse, de me former. Ils l’ont fait et, plus j’apprenais à célébrer, plus j’étais heureux de mieux comprendre notre liturgie catholique et sa tradition. Ce que le Novus Ordo, que j’avais célébré durant mes sept premières années de sacerdoce, ne m’avait pas permis de faire.
La découverte de la liturgie traditionnelle m’a permis d’approfondir ma compréhension du mystère de l’Eucharistie et du respect, de la vénération et des gestes qui doivent l’accompagner.
3) Quelle a été l’influence de votre choix de célébrer in utroque usu, dans l’une comme l’autre forme du rite romain, sur la vie de votre paroisse ?
Père Tim : Il y a trois groupes distincts dans ma paroisse :
- les anglophones pour lesquels est célébré le Novus Ordo en anglais. Des fidèles plutôt âgés, peu de jeunes, guère intéressés par la messe traditionnelle,
- les hispaniques, qui représentent la majorité des paroissiens mais ne sont guère plus intéressés par la messe traditionnelle,
- et, enfin, les fidèles de la forme extraordinaire, un groupe qui vient d’un autre lieu de messe et qui avaient déjà enfants de chœur et schola, tout ce qu’il me fallait pour la grand-messe que nous célébrons à 13 heures le dimanche.
Pour l’instant, ces trois groupes ne se mélangent guère. Quelques fidèles anglophones et hispaniques sont déjà venus à la messe traditionnelle mais sans accrocher pour autant.
4) L’arrivée de la messe traditionnelle a-t-elle été occasion de division ? C’est un argument souvent avancé contre l’application du Motu Proprio Summorum Pontificum.
Père Tim : Pas du tout. Tout est très tranquille et il n’y a aucun problème. La seule difficulté est pour moi et réside dans le fait de me multiplier pour réussir à prendre soin des trois communautés. Je dois dire que la forme extraordinaire, célébrée le lundi, le vendredi et le dimanche, me prend beaucoup d’énergie et de temps car cela me demande plus de travail pour bien la célébrer et m’habituer au calendrier, différent de celui ordinaire.
5) Qu’en dit votre évêque ?
Père Tim : Notre évêque, Mgr Edward Slattery, est très traditionnel et, pour ce que j’en sais, est l’un des rares évêques à célébrer la forme ordinaire ad orientem. Il célèbre aussi volontiers la forme extraordinaire. Il est très ouvert et bienveillant. Le 24 avril 2010, il a célébré une messe pontificale solennelle au sanctuaire national de l’Immaculée Conception, à Washington, pour le cinquième anniversaire de l’élection de Benoît XVI au Siège de Pierre (2). C’était la première messe pontificale solennelle à y être célébrée depuis plus de 40 ans, en présence de plus de 3500 personnes dont le cardinal Baum et une centaine de prêtres et séminaristes. En outre, c’est Mgr Slattery qui a installé la Fraternité Saint-Pierre dans le diocèse. Ils ont la charge de la paroisse du Très Précieux Sang, autrefois paroisse Saint-Pierre.
6) C’est une grâce d’avoir un tel évêque : pouvez-vous nous en dire un peu plus sur sa personnalité ?
Père Tim : Vous avez parfaitement raison. Mgr Slattery a 74 ans et s’approche donc du terme de son mandat. Il est originaire du diocèse de Chicago et ce n’est pas un hasard si cette ville a joué et continue de jouer un rôle essentiel dans la diffusion de la forme extraordinaire du rite romain. Elle est en effet le siège de la paroisse Saint John Cantius, que dirige le chanoine Frank Phillips, fondateur des chanoines de Cantius en 1998, une communauté religieuse masculine vouée à la restauration du sacré dans le cadre du ministère paroissial (4).
7) Mais encore ?
Père Tim : La mission de la communauté est bien définie par sa devise : Instaurare Sacra. Les chanoines de Cantius ont notamment pour particularité de former les prêtres désireux d’apprendre à célébrer la forme extraordinaire. Dans ma paroisse, nous avons un prêtre mexicain qui, lorsqu’il a vu que je célébrais la messe traditionnelle, m’a demandé s’il pouvait l’apprendre à son tour. Je l’ai envoyé à Chicago et il a été le millième prêtre formé par leurs soins. Si l’on considère que la Fraternité Saint-Pierre a dû en former un autre millier, cela fait sans doute 2000 prêtres qui disent la messe traditionnelle aux États-Unis.
8) La célébration de la forme extraordinaire a-t-elle une influence sur la façon dont vous célébrez la forme ordinaire ?
Père Tim : Oui, sans aucun doute. La plus grande influence réside dans l’esprit, le silence, la révérence, l’extrême attention apportée au moindre geste – par exemple s’assurer qu’aucun fragment d’hostie ne tombe par terre ou ne reste sur les doigts du célébrant – avec lesquels je célèbre dorénavant. Je crois que ce ne serait pas une mauvaise idée pour le nouveau rite de récupérer un peu de discipline traditionnelle en la matière, une discipline qui inspire crainte et révérence envers ce que nous avons le privilège d’accomplir. En un mot, du début à la fin, la liturgie traditionnelle nous plonge dans le mystère transcendant de Dieu.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 – Difficile d'exprimer mieux que ne le fait le père Timothy Davison l’attrait que la messe traditionnelle exerce sur un grand nombre de prêtres : « faits » pour célébrer le saint sacrifice, ils finissent par se sentir, au sein de la liturgie nouvelle, comme en manque de rite – au sens le plus noble de ce terme, celui de l'expression visible et invisible de l’événement sacré dont ils sont les ministres à l’autel. Le père Tim rapporte aussi, comme le font bon nombre de prêtres diocésains qui se sont mis à célébrer traditionnellement, que l’attrait de la forme extraordinaire est contagieux : d’autres prêtres voient leur joie de célébrer et les fruits qu'ils en retirent et veulent les imiter.

2 – Selon le père Tim, depuis 2007 et la publication de Summorum Pontificum, 2000 prêtres américains qui ne célébraient que la forme ordinaire ont appris à célébrer la forme extraordinaire. On ne dira jamais assez l’importance du Motu Proprio de Benoît XVI quant au lent mais profond mouvement qu’il a amorcé. On soulignera aussi le rôle remarquable des communautés aptes à exercer une pédagogie liturgique, en l’espèce les chanoines de Cantius et la Fraternité Saint-Pierre (mais on pourrait citer aussi, aux ÉU, l'Institut du Christ-Roi et les monastères traditionnels). On sait bien combien, dans tout processus d’éducation restauratrice, ce type de relais est de la plus grande importance.

3 – L’évêque du père Davison, Mgr Edward Slattery, est particulièrement bienveillant. Il faut rappeler que la situation aux États-Unis est bien différente de celle du vieux continent, et spécialement de la situation française, car l'idéologie n'y a guère de prise. Alors qu'en Europe – que le pape François vient de dépeindre comme une périphérie vieillissante qui n'a plus de prêtres ni de religieuses (4) –, bien des évêques préfèrent voir diminuer d'année en année le nombre de vocations et le nombre de fidèles plutôt que d'ouvrir leur cœur et leurs églises à la forme extraordinaire, de l'autre côté de l'Atlantique la plupart des évêques, même s’ils ne sont pas traditionnels, restent pragmatiques. Et n'hésitent pas, puisque la liturgie traditionnelle attire des fidèles et engendre des vocations, à lui donner sans trop d'états d’âme un espace correspondant à son développement. Quel exemple !

4 – Quant à la paix paroissiale que décrit le père Tim, il est clair qu’elle ressort d’abord de la paix liturgique qui habite le cœur de ce curé. Sans doute aussi n’a-t-il pas à compter avec des comités de laïcs devenus des clercs de substitution autour de la liturgie nouvelle. En tout cas, tout naturellement, la forme traditionnelle reprend sa place dans la vie de l’Église, dont cette paroisse de l'Oklahoma est, en quelque sorte, un petit microcosme.

(1) Dom Mark Kirby, est le fondateur et prieur de Notre-Dame du Cénacle, un monastère voué à l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement. Érigé originellement dans le diocèse de Tulsa au lendemain de l’Année de l’Eucharistie voulue par Jean-Paul II (2004-2005), il est désormais installé à Silverstream, dans le comté de Meath, en Irlande. La forme extraordinaire du rite romain est la liturgie ordinaire du monastère.

(2) Un événement dont nous avons rendu compte dans notre lettre 234.

(3) Voir nos lettres 260 et 358.

(4) Lors de la rencontre avec les nouveaux évêques de Propaganda Fide, le 20 septembre 2014.