25 septembre 2015

[DICI] Europe : Divisions dans l’Eglise sur la question des migrants

SOURCE - DICI - 25 septembre 2015

Dans un message vidéo adressé aux jeunes Hongrois, le 17 septembre 2015, et dont le contenu a été publié par Le Parisien du 18 septembre, le pape François a appelé à faire preuve « d’une charité pleine de miséricorde » vis-à-vis des centaines de milliers de migrants qui arrivent en Europe depuis le mois d’août. Le souverain pontife a déclaré que « le visage le plus beau d’un pays et d’une ville est celui des disciples du Seigneur – évêques, prêtres, religieux, fidèles laïcs – qui vivent avec simplicité, au quotidien, le style du bon Samaritain et qui se font les prochains de la chair et des plaies de leurs frères, en qui ils reconnaissent la chair et les plaies de Jésus. Cette charité pleine de miséricorde vient du cœur du Christ. »

Le 6 septembre, à l’occasion de l’Angélus dominical, le pape François avait déjà appelé les 120.000 communautés catholiques d’Europe à accueillir chacune « une famille de réfugiés », précisant qu’il commencerait lui-même par les deux paroisses du Vatican. Depuis le 17 septembre, c’est à moitié chose faite puisqu’une première famille de réfugiés s’est installée dans un appartement non loin de la basilique Saint-Pierre. Il s’agit de chrétiens de Damas, appartenant à l’Eglise grecque-melkite catholique.

D’après reinformation.tv du 19 septembre, « cette démarche va à l’encontre de l’appel lancé par les patriarches orientaux, qui ont appelé, chacun de leur côté, leurs ouailles à ne pas quitter leur terre. »François le Luc évoque ainsi la lettre adressée spécialement aux jeunes par le patriarche Grégoire III, envoyée à l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED) et reprise par Radio Vatican le 3 septembre. Le primat de l’Eglise grecque-melkite catholique en Syrie écrit : « La vague presque générale d’émigration des jeunes, en particulier de Syrie, mais aussi du Liban et d’Irak, me brise le cœur, me blesse profondément et me porte un coup fatal. Compte tenu de ce tsunami d’émigration… quel avenir reste-t-il à l’Eglise ? Qu’adviendra-t-il de notre patrie ? Qu’adviendra-t-il de nos paroisses et de nos institutions ? (…) Malgré toutes vos souffrances, restez ! Soyez patients ! N’émigrez pas ! Restez pour l’Eglise, pour votre patrie, pour la Syrie et son avenir ! Restez ! » – Et François le Luc de s’interroger : « Le pape a-t-il entendu cet appel, à la fois émouvant et éminemment politique ? Y a-t-il, en pratique, répondu ? »

Irénisme à l’ouest, vigilance à l’est

Dans une déclaration publiée sur le site internet de la Conférence des Evêques de France (CEF) le 7 septembre, les prélats français ont préféré n’entendre qu’une seule voix, celle du pape François qu’ils se sont empressés de recevoir « avec joie » et qui, ont-ils affirmé, « nous stimule tous et nous invite à continuer, voire à accroître nos actions vis-à-vis des réfugiés ». D’après la CEF, le souverain pontife « nous invite à changer notre regard et notre discours sur les migrants. Il nous faut cesser de considérer ces personnes comme des agresseurs dont on doit avoir peur. Migrants économiques ou politiques, il n’est pas acceptable de faire un tri qui viserait à en accueillir certains seulement. »

Des propos qui tranchent avec ceux de prélats polonais, hongrois ou slovaques qui ont déclaré que l’accueil de masses de réfugiés musulmans pourraient plus tard créer un « ghetto » où se développeraient « la violence et le terrorisme ». « Soyons réalistes ! », a affirmé Mgr Henryk Hoser, archevêque de Varsovie-Praga (partie orientale de la capitale polonaise), dans un entretien accordé à l’agence de presse catholique KAI et repris par l’Apic le 16 septembre. Bien plus direct encore, Mgr Laszlo Kiss-Rigo, évêque de Szeged-Csanád (Hongrie), a affirmé que les réfugiés musulmans en Hongrie étaient un danger pour « les valeurs universelles chrétiennes » de l’Europe et qu’ils étaient de plus « arrogants » et « cyniques ». Il a considéré que le pape François n’avait « aucune idée de la situation » dans son pays. Parlant d’« invasion », il a déclaré au site internet du Washington Post, le 7 septembre, que nombre de ces « soi-disant » réfugiés sont en fait des migrants économiques, et qu’ils ne méritaient aucun soutien, « parce qu’ils ont de l’argent ». Il a déclaré partager totalement la politique du Premier ministre hongrois Viktor Orban qui tente, tant bien que mal, de fermer les frontières hongroises. De son côté, le cardinal tchèque Dominik Duka, archevêque de Prague, a affirmé que l’Eglise doit « recevoir les affligés à bras ouverts », mais il faut tout de même rester « vigilants ». En effet, a-t-il déclaré sur les ondes de la radio catholique tchèque Proglas, repris par l’Apic le 16 septembre, il y a « le risque que des ennemis » viennent aussi « avec la vague des réfugiés ». Il relève qu’« il est finalement connu que des jeunes hommes et même des enfants sont utilisés pour commettre des actes terroristes ». Et d’ajouter que « le droit à la vie et à la sécurité de nos familles et des citoyens de ce pays est au-dessus de tous les autres droits ».

Le nécessaire discernement

Selon le journaliste français Eric Zemmour, on assiste au « retour du conflit Est-Ouest à front renversé, ou plutôt à mur renversé avec toujours la Hongrie en éclaireur ». Sur les ondes de RTL, le 3 septembre, le chroniqueur a rappelé qu’en 1989 ce pays entrouvrait le mur de Berlin à sa frontière avec l’Autriche. « Aujourd’hui, la Hongrie construit un mur à sa frontière avec la Serbie », poursuit-il, en constatant que si les Hongrois et leurs voisins de l’Europe communiste « rêvaient jadis de liberté et de circulation », la liberté de circulation est aujourd’hui « leur cauchemar ». L’Est « évoque la défense de la civilisation européenne », mais, pour l’Ouest, « l’Europe se confond avec le monde ».

Une confusion que déplore le P. Ephrem Azar, dominicain irakien exilé en France depuis 25 ans. Sur le site internet de la radio publique France Info, il a affirmé que « ce que l’Occident propose aujourd’hui est complètement stupide et naïf. Il ne faut pas entrer dans la pitié dangereuse et dans la sensiblerie des gens ». Dans cet entretien radiophonique diffusé le 20 septembre, à son retour d’un voyage en Irak, il a souligné qu’« il faut avoir du discernement et comprendre les causes de cette crise, notamment en Syrie et en Irak. Sur place, nous avons en face de nous Daech et d’autres islamistes qui vont dire : ‘Puisque l’Occident chrétien vous accueille, allez-y. Ils vous ouvrent les bras, allez-y… et ce pays n’est plus le vôtre.’ Il y a aussi un appauvrissement total de ce pays, parce que ceux qui partent, ce ne sont pas seulement les mal-portants et les pauvres, c’est aussi toute la richesse intellectuelle, sociale, qui avait beaucoup de talent et de qualifications ». Un constat alarmant qui lui a fait dire que « c’est le moment d’être solidaire, ce n’est pas le moment d’encourager mon peuple à quitter le pays ».

Dans une tribune publiée sur le site Liberté politique, le 16 septembre, le directeur de l’ONG Enfants du Mékong, Yves Meaudre, a appelé à ne pas confondre charité, morale et politique. Pour lui, « l’accueil sans réflexion de centaines de milliers d’immigrants » – des hommes seuls en bonne santé pour la plupart – « ne répond pas à une obligation de la charité mais à une obligation idéologique. » Après le « on est tous Charlie », la moindre réflexion sur les « conséquences de cet accueil qui, au long des mois se révélera définitif, conduit inéluctablement à l’excommunication pour délit de blasphème. » Lui qui est spécialisé dans l’accueil des réfugiés du Sud-Est asiatique, en France mais aussi dans leur pays d’origine, déplore qu’il y ait « une volonté internationale de substituer aux vieux peuples chrétiens des peuples d’autres religions pour voir disparaître la plus belle des civilisations que l’humanité a connue. » Et de conclure : « Les nations sont dans la main de Dieu. Alors prions… »

(Sources : apic/ leparisien/ washingtonpost/ rtl/ radiovatican/ cef/ reinformation.tv/ franceinfo/ libertepolitique – DICI n°321 du 25/09/15)