1 septembre 2015

[Paix Liturgique] Le Père Smith : des pistes pour introduire summorum pontificum dans les séminaires et amplifier la vraie paix dans les diocèses de bonne volonté

L'abbé Christopher Smith
chantant l'Évangile lors
de Sacra Liturgia 2015
SOURCE - Paix Liturgique - lettre 507 - 1er septembre 2015

Dans nos lettres 484 et 486, nous avons rapporté d’une part le témoignage du Père Christopher Smith, curé de la paroisse du Prince de la Paix, à Taylors, en Caroline du Sud, sur son temps de séminaire à Rome, au début des années 2000 ; puis, d’autre part, sa réflexion sur la situation de la forme extraordinaire du rite romain dans les séminaires et la place qu’elle pourrait y prendre.

Voici la dernière partie de son article publié sur The Chant Café, le 4 mars 2015, qui offre des pistes pour l’introduction de la forme extraordinaire dans les séminaires, suivie de nos réflexions. Signalons que les questions abordées par l’abbé Smith ont été grandement approfondies lors des journées Sacra Liturgia à New York (voir notre lettre 495).
I – COMMENT INSÉRER LA FORME EXTRAORDINAIRE DANS LA VIE DES SÉMINAIRES?
Tout d’abord, tous ceux qui sont impliqués dans la liturgie devraient accepter ce que Benoît XVI a fait pour la liturgie romaine. Il a établi qu’il y avait deux formes d’un seul et même rite romain et que chaque prêtre avait le droit de célébrer aussi bien l’une que l’autre. Rappelé ceci, une question se pose : pourquoi tout séminariste de rite romain n’est-il pas préparé à chacune de ces deux formes ? Quelques séminaires ont bien commencé à offrir une initiation à la forme extraordinaire mais cela semble n’en faire qu’un hobby réservé à ceux que cela intéressent – ou limité à un mouvement excentrique tout juste toléré au sein de l’Église – et d’une moindre valeur de la forme ordinaire.

Toutefois, avant que les séminaires ne puissent intégrer la forme extraordinaire, ils devraient commencer par offrir un enseignement sérieux au latin et à la musique sacrée. Ces deux matières, naguère partie prenante et intégrale de toute formation sacerdotale, ont été reléguées en de nombreux endroits à de simples options alors qu’elles devraient être un des piliers du programme.

Ici, aux États-Unis, de nombreux séminaires offrent à leurs étudiants, en vue de les préparer à la vie des paroisses auxquelles ils pourraient être appelés à servir, des messes en espagnol ou des messes folk ou selon d’autres « styles » liturgiques. Qu’il s’agisse ou non d’une bonne formation n’est pas mon propos mais cela m’amène à poser la question de savoir pourquoi, dès lors que les deux formes du rite romain sont destinées à vivre côte-à-côte dans l’Église universelle, elles ne peuvent pas être célébrées côte-à-côte dans les séminaires. Qu’est-ce qui empêche d’introduire la messe basse, la messe dialoguée, la messe chantée et la messe solennelle dans la rotation hebdomadaire de la messe communautaire des séminaires, aux côtés de la forme ordinaire?

J’ai des échos sur le fait que, dans plusieurs séminaires, les étudiants eux-mêmes tentent de pousser les recteurs à admettre la validité de la célébration des deux formes du rite romain et à en étudier la possibilité concrète. La discussion est ouverte sur ce sujet, sans la peur qu’il y avait à mon époque, pourtant relativement récente. L’ouverture et la transparence avec lesquelles les questions liturgiques peuvent être posées, abordées et résolues sont de bon augure pour l’avenir. Loin de produire des prêtres amers et obsédés qui quitteront le séminaire décidés à plier leurs paroisses à leurs opinions liturgiques unilatérales, la célébration fréquente de la forme extraordinaire dans les séminaires favorisera une atmosphère propice à une sereine formation liturgique au sein de laquelle les candidats à l’ordination pourront apprécier aussi bien une forme que l’autre et mieux apprendre à faire goûter les richesses de la liturgie au peuple de Dieu.

QUE PEUT-IL SE PRODUIRE SI LA FORME EXTRAORDINAIRE TROUVE DROIT DE CITÉ DANS LES SÉMINAIRES ?

Me trouvant récemment dans une cathédrale du sud des États-Unis, j’en profitai pour y célébrer ma messe privée. Tandis que je revêtais ma chasuble romaine et que mon servant de messe, un séminariste, préparait l’autel pour ce qui était, selon l’Ordo traditionnel, la fête de saint Dominique, un ami prêtre, tout juste ordonné, revêtait sa chasuble gothique et son servant, un laïc, préparait un autre autel latéral pour sa messe privée qui, dans l’Ordo moderne, était ce jour-là celle de la fête de saint Jean-Marie Vianney. Cet ami ne célèbre pas encore la forme extraordinaire mais s’y intéresse. Sans l’avoir préparé à l’avance, nous nous retrouvâmes à célébrer simultanément les deux formes du rite romain en présence de laïcs, de prêtres et de séminaristes. La même semaine, non seulement cet ami assista au chœur à une messe solennelle selon la forme extraordinaire à laquelle je prêtais mon concours mais j’eus aussi pour ma part l’occasion de concélébrer la forme ordinaire en la cathédrale de son ordination.

La directrice du catéchisme à la cathédrale, une jeune théologienne intéressée par la liturgie, qui se trouva présente en chacune de ces occasions, observa que nous avions tout au cours de la semaine rendu réelle, à notre façon, l’enrichissement liturgique voulu par Benoît XVI : aucun de nous n’en ressortait confus, en colère ou porté à critiquer les choix de l’autre.

Le jeune clergé a une opportunité incroyable de pouvoir pratiquer à son aise dans l’une comme l’autre forme du rite romain et construire ainsi des ponts là où les années de guerre liturgique ont séparé les fidèles les uns des autres. Les supérieurs des séminaires ont raison de vouloir éviter à tout prix de nouvelles dissensions liturgiques dans l’Église. Mais en marginalisant l’une des deux formes du rite romain, qui a retrouvé tout son droit de cité dans l’Église, ils ne font que continuer à polariser les humeurs. Donner à la forme extraordinaire toute sa place dans la formation sacerdotale est la seule voie possible pour en finir avec les vieilles oppositions et permettre la coexistence harmonieuse des deux formes liturgiques dans l’Église.
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1/ Ce texte publié en 2015 montre comme tant d’autres, mais peut-être plus fortement que d’autres, que tout continue comme avant. Nous l’avons souvent répété, au risque de lasser : le mouvement qu’a consacré Benoît XVI par son Motu Proprio libérateur, se continue au-delà de Benoît XVI et se continuera imperturbablement.L'essor de la messe traditionnelle se poursuit, de façon toujours plus paisible. Les nouveaux clercs et les nouveaux séminaristes continuent d’adopter un profil résolument traditionnel. La perméabilité – relative certes mais certaine – des séminaires à la liturgie traditionnelle est au sein de ce mouvement un élément très important. Qu’on se souvienne du climat lourdement idéologique qui régnait dans les séminaires interdiocésains français il y a dix ou quinze ans. On peut aussi constater que les séminaires qui attiraient les vocations dans les années 85-90, comme Ars ou Paray-le-Monial, ont depuis cédé la vedette à des séminaires ou à des filières de formation nettement plus traditionnelles (Bayonne, Toulon, Vannes).

2/ Le témoignage du Père Christopher Smith met essentiellement l’accent sur le phénomène de cohabitation des deux formes. Pour faire un lointain clin d'œil au concile de Chalcédoine, on pourrait parler d’union sans confusion : les deux formes cohabitent paisiblement sans se mélanger. La concurrence est – en tout cas dans les exemples américains que donne l’abbé Smith – désormais pacifique. Il est permis de noter que lorsque des exclus, qu’on a cherché à éliminer, sont gratifiés du droit de cité, c’est pour eux, et pour ce qu’ils représentent, un gain considérable. Mais pas seulement pour eux : en l’espèce, il y a aussi un gain pour le monde de la liturgie ordinaire. Par exemple, les nouveaux pratiquants de la forme extraordinaire constatent qu’ils célèbrent ensuite bien mieux la forme ordinaire, forts d'un tout autre esprit liturgique. De même, il faut souligner, en France spécialement, le nombre toujours plus important de prêtres diocésains qui – qu'ils célèbrent ou non la messe traditionnelle – ont été formés, pour partie ou totalement, dans des séminaires ou communautés traditionnelles et témoignent donc par leur parcours de cette « coexistence harmonieuse » dont parle l'abbé Christopher Smith. La liturgie traditionnelle – et ce qui va avec – joue, de fait, un rôle indirect de réservoir de vocations pour la forme ordinaire. Nul doute que cet effet deviendra tôt ou tard direct, lorsque les diocèses feront appel aux communautés traditionnelles comme ils font déjà appel à la Communauté Saint-Martin.

3/ Enfin, force est de constater qu'à mesure que les tenants de l'herméneutique de rupture prennent chaque jour davantage de rides, leur idéologie prétendant réformer (comprendre « révolutionner ») la lex orandicomme la lex credendi accuse toujours plus de fatigue, de lassitude et de doute. De sorte que la liturgie ancienne – et la lex credendi qui l'accompagne –, s’avère plus vivante et jeune que jamais, en elle-même et par ceux qu’elle séduit : ainsi le montre sa fécondité remarquable en conversions et en vocations.