8 décembre 2015

[Paix Liturgique] Pape François : "Sans prêtre, il n'y a pas d'eucharistie"

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 520 - 8 décembre 2015

« Recevant les évêques allemands en visite ad limina, le pape François a pointé la baisse de fréquentation des églises dans le pays et les a appelés à une véritable "conversion pastorale". » (La Croix, 20 novembre 2015)

I - MORCEAUX CHOISIS DU DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS AUX ÉVÊQUES D'ALLEMAGNE
Vatican, 20 novembre 2015 - Source

Partout, l’Église s’engage avec professionnalisme dans le domaine social et caritatif et est très active également dans le domaine scolaire. Il faut garantir que dans ces institutions, l’aspect catholique soit mis en valeur ; de cette façon, elles deviennent un facteur positif, ne devant pas être sous-évalué, pour la construction d’une société vivable. D’autre part, dans les régions de tradition catholique, on remarque de façon particulière une baisse très forte de la participation à la messe du dimanche et à la vie sacramentelle. Alors que dans les années soixante, partout encore, presque tous les fidèles participaient tous les dimanches à la messe, aujourd’hui, ils représentent souvent moins de dix pour cent. On s’approche de moins en moins des sacrements. Le sacrement de la pénitence a presque disparu. Toujours moins de catholiques reçoivent la confirmation ou contractent un mariage catholique. Le nombre des vocations au ministère sacerdotal et à la vie consacrée est en nette diminution. Compte tenu de ces faits, on peut véritablement parler d’une érosion de la foi catholique en Allemagne.

[…]

Il est indispensable que l’Évêque accomplisse de façon diligente sa fonction de maître de la foi – de la foi transmise et vécue dans la communion vivante de l’Église universelle – dans les multiples domaines de son ministère pastoral. En tant que père attentionné, le prélat accompagnera les facultés théologiques, en aidant les professeurs à redécouvrir la grande portée ecclésiale de leur mission. La fidélité à l’Église et au magistère ne contredit pas la liberté académique, mais exige une attitude humble de service aux dons de Dieu. Le sentire cum Ecclesia doit distinguer de façon particulière ceux qui éduquent et forment les nouvelles générations.[…]

De plus, en tournant le regard vers les communautés paroissiales, dans lesquelles la foi est la plus expérimentée et vécue, l’évêque doit avoir particulièrement à cœur la vie sacramentelle. Je voudrais souligner uniquement deux points : la confession et l’Eucharistie. L’imminent jubilé extraordinaire de la miséricorde offre l’opportunité de faire redécouvrir le sacrement de la pénitence et de la réconciliation. La confession est le lieu où l’on reçoit en don le pardon et la miséricorde de Dieu. Dans la confession débute la transformation de chaque fidèle et la réforme de l’Église. Je souhaite qu’une plus grande attention soit portée à ce sacrement, si important pour un renouveau spirituel, dans les projets pastoraux diocésains et paroissiaux au cours de l’année sainte et même après. Il est tout aussi nécessaire de souligner toujours le lien intime entre Eucharistie et sacerdoce. Des projets pastoraux qui n’attribuent pas une importance adéquate aux prêtres dans leur ministère de gouverner, d’enseigner et de sanctifier en ce qui concerne la structure et la vie sacramentelle de l’Église, sur la base de l’expérience, sont voués à l’échec. La collaboration précieuse de fidèles laïcs, surtout là où manquent les vocations, ne peut remplacer le ministère sacerdotal ou même le faire sembler une simple « option ». Sans prêtre, il n’y a pas d’Eucharistie. Et la pastorale des vocations commence par l’ardent désir missionnaire dans le cœur des fidèles d’avoir des prêtres. Enfin, un devoir de l’évêque qui n’est jamais assez apprécié est l’engagement pour la vie. L’Église ne doit jamais se lasser d’être l’avocate de la vie et ne doit pas faire marche arrière en annonçant que la vie humaine doit être protégée de façon inconditionnelle du moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Ici, nous ne pouvons jamais faire de compromis, sans nous rendre nous-mêmes également coupables de la culture du rebut, malheureusement largement diffusée. Comme les blessures que notre société doit subir en raison du rejet de ceux qui sont les plus faibles et sans défense – la vie des enfants à naître, ainsi que les personnes âgées et les malades – sont grandes ! À la fin, nous en subirons tous les conséquences douloureuses.

II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE

1) « Le pape a tenu aux évêques allemands des propos très sévères » écrit le vaticaniste Sandro Magister le 24 novembre 2015. « Si l’on en croit ce qui se dit un peu partout, le grand vainqueur du synode aurait été l’Église allemande, qui se situe à l'avant-garde mondiale en matière de rénovation de la discipline du mariage catholique. Mais lorsque l’on entend ce que le pape François a dit aux évêques d’Allemagne, la conclusion que l’on en tire n’est pas que l’Église allemande est la plus avancée du monde, mais exactement le contraire : c’est la plus ravagée ». Bref, encore une fois, le pape François a pris tout son monde à rebours. Là où les observateurs imaginaientbaci e abbracci comme on dit à Rome (baisers et embrassades) pour sa rencontre avec certains des prélats qui ont le plus argué de la « miséricorde » pour en finir avec l'indissolubilité du mariage sacramental, le Pape, avec la ruse qu'il revendique (1), a voulu rappeler quelques vérités bien senties aux évêques d'outre-Rhin.

2) Ces vérités, Sandro Magister les a ainsi énumérées :

- le pape a déploré l'absence d'aspect catholique dans les institutions caritatives et dans les écoles allemande,
- il a stigmatisé la chute verticale, depuis les années soixante !, de l’assistance à la messe et la disparition de la pratique de la confession,
- il a invité les évêques, « pères attentionnés », à être des maîtres de la foi, « transmise et vécue dans la communion vivante de l’Église universelle »,
- il a rappelé que « la collaboration précieuse de fidèles laïcs, surtout là où manquent les vocations, ne peut remplacer le ministère sacerdotal »,
- enfin, il a souligné l'importance de l’engagement pour la vie, « un devoir de l’évêque qui n’est jamais assez apprécié » car « l’Église ne doit jamais se lasser d’être l’avocate de la vie » et d'annoncer « que la vie humaine doit être protégée de façon inconditionnelle du moment de sa conception jusqu’à sa mort naturelle ».
Fermez le ban !

3) Pour bien apprécier toute la saveur des propos du pape, en particulier son insistance sur le sentire cum Ecclesia, il faut se souvenir qu'en février 2015 le cardinal Marx, président des évêques allemands, avait déclaré : « nous ne sommes pas une filiale de Rome ». Il entendait ainsi signifier, très clairement, que l'Église d'Allemagne ne se plierait pas aux décisions du synode sur la famille si celles-ci n’allaient pas dans le sens voulu par ses prélats (la fin du mariage catholique traditionnel).

4) Radio Vatican a vu dans cette forte admonestation du pape François une continuité avec les propos tenus par Benoît XVI à ses compatriotes, notamment lors de sa visite à Fribourg en 2011. « L'actuel pape émérite, explique Radio Vatican, avait alors salué l'engagement caritatif des institutions ecclésiales en Allemagne […] mais il avait aussi rappelé que "dans l’esprit de l’enseignement de Jésus il faut plus : le cœur ouvert, qui se laisse toucher par l’amour du Christ, et donne ainsi au prochain, qui a besoin de nous, plus qu’un service technique : l’amour, dans lequel se rend visible à l’autre le Dieu qui aime, le Christ". »

5) Ces propos sont d’autant plus courageux que les finances du Saint-Siège dépendent largement de l'Église d'Allemagne, la plus riche d'Europe grâce à l'imposition automatique des fidèles, eux-mêmes fort aisés (il faut savoir que les deux Églises qui, par leurs apports, empêchent les comptes du Saint-Siège d’être dans le rouge, sont celles d’Allemagne et des États-Unis).

6) Le cœur du message du pape demeure le fait que « sans prêtre, il n’y a pas d’Eucharistie ». Une affirmation qui aurait sonné comme une lapalissade il y a cent ans mais qui, adressée en 2015 aux évêques allemands, souvent partisans déclarés de la sécularisation généralisée, résonne d'autant plus fortement que le Saint-Père la complète par celle-ci : « Il est tout aussi nécessaire de souligner toujours le lien intime entre Eucharistie et sacerdoce ». Le Pape s’adresse à une Église fonctionnarisée, qui compte 3 000 « référents pastoraux » (laïcs salariés en responsabilité ayant un diplôme universitaire de théologie) et 4 500 « assistants pastoraux » (laïcs salariés ayant un diplôme technique de catéchèse ou de liturgie), lesquels remplissent de plus en plus de charges autrefois dévolues aux clercs, du fait de la raréfaction des prêtres. En dépit des gesticulations médiatiques et de la culture de certaines ambiguïtés qui rendent son pontificat souvent troublant, le pape François rappelle ici une grande vérité de la foi que la désignation du cardinal Ranjith au congrès eucharistique indien (notre lettre 517) nous avait déjà semblé indiquer comme essentielle à ses yeux.

7) La revalorisation du sacerdoce, de l’eucharistie et de la confession sacramentelle représente un élément essentiel du renouveau et du relèvement de l’Église. C’est l’une des clès de la vraie réforme que l’Église attend et appelle de tous ses vœux. Il faut ajouter que, là où s'applique le motu proprio Summorum Pontificum, cette revalorisation est déjà bien vivante dans les communautés et les paroisses qui pratiquent selon la forme extraordinaire du rite romain.

8) Alors que s'ouvre l'Année Sainte de la Miséricorde, unissons nos prières à celle de toute l'Église universelle mais n'oublions pas de prier aussi pour nos prêtres :

Seigneur, donnez-nous des prêtres,
Seigneur, donnez-nous de Saints prêtres,
Seigneur, donnez-nous beaucoup de Saints prêtres.
Ainsi soit-il.


(1) Entretien avec le père Spadaro pour La Civiltà Cattolica et Études en septembre 2013.