19 septembre 2013

[Jean-Michel Eriche - Rivarol] Interview de l’abbé Guépin

SOURCE - Jean-Michel Eriche - Rivarol - septembre 2013

Depuis le début de son ministère à Nantes, l’abbé Guépin, 62 ans, prêtre « non una cum » et ami fidèle de notre beau journal, louait à un prix assez onéreux un hangar qu’il avait fait emménager pour célébrer la Sainte Messe au 88 rue d’Allonville.

L’année dernière, suite au décès du propriétaire, les enfants héritiers de celui-ci lui permirent d’acheter le bâtiment. En peu de temps, le hangar fut transformé en magnifique petite Chapelle beaucoup plus propice à recevoir le Saint Sacrifice de la Messe et à célébrer la gloire de Dieu. A l’occasion de cette rénovation épatante, près de 300 Catholiques venus de toute la France se sont retrouvés sur place le Samedi 14 Septembre pour fêter l’évènement. Nous avons profité de cette occasion pour rencontrer l’Abbé Guépin et lui accorder une interview dans les colonnes de notre hebdomadaire…
Rivarol : Bonjour Monsieur l’abbé… Afin de débuter cette interview dans les règles de l’art, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ? Vous êtes établit depuis trente-trois ans à Nantes et êtes connu pour être « Non Una Cum », c’est à dire que vous ne prononcez pas le nom de François Ier durant le Canon de la messe afin de ne pas entrer en communion avec Rome. Pouvez-vous nous en expliquer également les raisons ?
Abbé Guépin : Je suis l’abbé Philippe Guépin. J’ai été ordonné par Mgr Lefebvre en juin 1977. J’ai alors assuré le Ministère Sacerdotal trois ans dans la Fraternité Saint Pie X dans le Bordelais où j’ai été prieur jusqu’à mon départ de cette communauté pour des raisons de foi.

La question qui vous préoccupe concernant cette locution du « una cum » au Saint Sacrifice de la Messe que tout Prêtre doit dire en temps ordinaires quand nous avons sur le Siège de Pierre une Autorité légitime ; dans les temps présents nous ne pouvons plus la prononcer puisque nous sommes orphelins d’Autorité légitime au sommet de l’Eglise, et ce, également dans les évêchés comme ici à Nantes. L’ « évêque » de Nantes n’a pas la même religion que nous, il a une toute autre religion – oecuméniste ou tout ce que vous voulez – qui n’a plus rien à voir avec la religion catholique.
Rivarol : Votre départ de la Fraternité Saint Pie X a donc été motivé par ces raisons?
Abbé Guépin : Durant mes trois années de Ministère à la FSSPX, Mgr Lefebvre connaissait parfaitement mes positions. Je ne m’en suis jamais caché auprès de lui, puisque j’ai eu la grâce de faire des milliers de kilomètres en sa compagnie en voiture, je le conduisais. Quand on se retrouve à deux en voitures, pendant des milliers de kilomètres, on a le temps de parler… Nous parlions de tout, ce sont des souvenirs merveilleux ! J’avais expliqué à Monseigneur que je ne citais pas Paul VI au canon de la Messe, ni Jean-Paul II par la suite bien entendu. Mgr Lefebvre ne m’en a jamais fait reproche. Il me disait toujours : « Je ne peu puis vous obliger en conscience sur ce point là. » Beaucoup de Prêtres de la FSSPX ignorent cela. Il me disait : « Je pense qu’il vaut mieux le citer, mais nous ne sommes pas obligés en conscience ». D’autant plus qu’il nous répétait souvent que Jean-Paul II était le chef des modernistes. Et donc, tout naturellement, nous lui disions : « Monseigneur, comment pouvez-vous citer au canon de la messe celui que vous appelez le chef des modernistes ? Ce n’est pas possible … »

Mon Ministère s’est poursuivi comme cela en compagnie de Monsieur l’Abbé Hervé Belmont, avec lequel je m’entendais parfaitement. Le 29 Janvier 1980, le jour de la Fête de Saint François de Sales, Mgr Lefebvre nous a convoqués au Séminaire, l’Abbé Belmont et moi, pour nous mettre devant une sorte d’ultimatum : « ou bien vous citez Jean-Paul II durant le Canon de la Messe et vous restez à la FSSPX, ou bien vous ne le citez pas et vous êtes renvoyés de la FSSPX ». Que s’était-il passé ? Il s’agissait, à l’époque, d’une stratégie politique et diplomatique de Mgr Lefebvre pour « régler » la situation de la Fraternité avec Rome [ndlr : nous connaissons la suite], tout simplement. Cela fut dramatique parce que tant l’Abbé Belmont que moi-même étions très heureux d’œuvrer au sein de la FSSPX. Or, ce point loin là était pour nous intenable en conscience.

Mgr Lefebvre nous a donnés quinze jours pour prendre notre décision. Nous avons fait une Neuvaine à Notre-Dame de Lourdes et, le 11 Février, l’Abbé Belmont et moi-même lui avons écrit chacun de notre coté, chacun dans un style différent – l’Abbé Belmont ayant un style plus doctrinaire – et nous avons dit à Monseigneur : « Non possumus », ce qui signifie « Nous ne pouvons pas ! ». Nous vous obéissons en tout point au sein de la FSSPX, il n’y a aucun problème, mais sur ce point là nous ne pouvons pas. Et c’est comme cela que nous avons été renvoyés. Ce fut pénible pour nous qui avions un bon petit groupe de fidèles auquel nous étions attachés. Mais il s’agissait de Foi.
Rivarol : Dès lors, qu’est-ce qui a fait que votre choix s’est porté à vous retrouver à Nantes pour continuer dans votre ministère ?
Abbé Guépin : Nous sommes partis l’un et l’autre les mains dans les poches, nous n’avions rien, mais la Providence ne nous a pas abandonnés. A peine renvoyé, j’étais sollicité par un de mes confères américains pour aller faire un séjour dans son pays. On arrivait à la période pascale. Il me demandait de venir pour aller chanter pour la Semaine Sainte. J’ai passé un mois là bas. Le mois n’était pas écoulé que je recevais un courrier de l’Abbé Belmont qui m’annonçait qu’on me sollicitait en France. Il y avait en effet seize centres Saint Pie V qui me demandaient de venir faire du Ministère dans leurs différents centres alors qu’ils savaient pourquoi j’avais été renvoyé ! Je n’avais que l’embarras du choix. J’ai rencontré beaucoup de gens vraiment zélés et décidés à mener le bon combat. Je me suis arrêté finalement à Nantes parce qu’il y avait là un regroupement de fidèles piliers qui me priaient à l’unanimité de venir et que j’avais là de bons amis vraiment solides. Et puis, surtout, il n’y avait pas la FSSPX sur place. Il n’était justement pas question pour moi de chercher la guéguerre avec la FSSPX. Je me suis dis que Nantes était très bien et que je ne dérangerais personne. Je suis arrivé ici en Juin 80 à la chapelle du Christ-Roi. Je peux vous assurer qu’après trente-trois ans, je ne regrette pas d’avoir pris cette décision quelque peu crucifiante d’avoir quitté cette famille spirituelle qu’est la FSSPX et à laquelle j’étais très attaché. Mais la Foi passe avant tout.
Rivarol : La FSSPX est à présent sur Nantes, comme bien d’autres communautés dites de « tradition » qui célèbrent la Messe en latin.
Abbé Guépin : Oui. La FSSPX est finalement arrivée à Nantes deux ans après moi. Ils ont commencé à célébrer la Messe dans différents lieux, des propriétés privées avant de s’implanter en 1982.

En ce qui nous concerne, nous sommes un bon petit groupe dans la région. Malheureusement, en raison de cette absence d’Autorité légitime dans l’Eglise, nous ne pouvons recourir à un évêque Catholique ordinaire d’un lieu. En conséquence, dans ce milieu traditionnel, il y a naturellement des divisions puisque chaque Prêtre à différentes manières de considérer la crise que traverse la Sainte Eglise. Nous avons des points de vue différents qui sont parfois des pierres d’achoppements pour mener le combat ensemble, c’est un obstacle bien dommage. J’en suis le premier navré que nous nous retrouvions au coude à coude. On se retrouve avec cinq Prêtres « Non Una Cum », ce qui ne représente tout de même pas rien. Mais il y a quelques divergences malgré tout, inévitables au vu de la situation. Sur l’essentiel, néanmoins, nous sommes d’accord. Mes confrères qui sont venus ici étaient enchantés d’avoir participé à cette petite fête de l’inauguration de la chapelle du Christ Roi rénovée.
Rivarol : Parlons un peu de cette jolie chapelle, dont vous fêtez, avec vos fidèles et bien d’autres Catholiques venus des quatre coins de France, la rénovation…
Abbé Guépin : Et bien, pour la petite histoire, je tiens à préciser que nous avons rénové la chapelle, mais pas son aspect extérieur. Nous sommes dans une situation à l’opposé de ce que notre Seigneur appelait dans l’Evangile « des sépulcres blanchis ». Notre chapelle est intérieurement magnifique mais le portail et la cour qui donnent à celle-ci sont extérieurement misérables. Cette situation est proportionnée à la crise que nous traversons aujourd’hui : nous sommes discrets, c’est une certaine protection humaine, et c’est peut-être mieux dans l’immédiat. Ce n’est pas notre préoccupation pour l’instant. L’important est avant tout l’intérieur, qu’il soit beau pour la gloire de Dieu. Nous devons encore faire les finitions. J’étais un peu hésitant à faire cette petite fête au départ. Finalement nous l’avons faite parce que c’est un encouragement pour les fidèles, un nouvel élan pour continuer le combat. Nous nous sommes retrouvés 300 personnes d’après un ami gendarme. Sur l’essentiel, nous menons le même combat : le refus de toute compromission avec les modernistes !

Propos recueillis par Jean-Michel Eriche