30 octobre 2016

[Abbé Michel Seignadou, fsspx - Le Seignadou] « La sérénité est la tradition du christianisme »

SOURCE - Le Seignadou - novembre 2016

Oublions pour un temps les misères de l’Église et, à la veille de la fête de tous les saints du ciel, et de celle des saintes âmes du purgatoire, revenons à des pensées plus belles, pour nous aider à bien vivre ce mois de novembre. Je les emprunte à ce cher et si grand Ernest Hello, que vous connaissez déjà, dans le chapitre Clartés de l’Eglise du beau recueil de fragments intitulés Regards et Lumières. Quelques extraits, trop brefs, à ne pas lire mais à méditer, à goûter et à savourer lentement.
Un des caractères les plus frappants de l'Eglise catholique, c'est l'indifférence avec laquelle elle reçoit les menaces de mort. Elle les reçoit depuis sa naissance, et tout a changé autour d'elle, et elle seule n'a pas changé.
Les ennemis de l'Eglise ont une façon de prophétiser son triomphe: c'est d'annoncer sa défaite. Leurs paroles deviennent des glaives qui se tournent contre leurs poitrines; car l'Eglise poursuit sa marche paisible d'un pas égal et assuré, répétant les paroles qu'elle a entendues des lèvres de David: Si exsurgat adversum me praelium, in hoc ego sperabo.
L'Eglise ne dit pas qu'elle espère, malgré l'attaque et la fureur de ses ennemis, mais à cause de leur attaque et à cause de leur fureur ; car ses vieux psaumes sont l'éternelle actualité de l'homme. Pour l'Eglise, pour les nations, pour les individus, ils sont la prière quotidienne, chaque jour plus neuve que la veille, et plus opportune : Propter inimicos meos dirige in conspectu tuo viam meam.
L'Eglise compte toujours la colère de ses ennemis parmi ses espérances et ses gages de triomphe : Ils crient et elle chante, et elle s'empare de leurs cris pour orner ses chants.
On affirme solennellement que sa dernière heure est arrivée. Pour elle, elle marche et elle chante. Car jamais l'Eglise ne marche sans chanter. Jamais on n'a pu l'empêcher de marcher, et jamais on n'a pu l'empêcher de chanter.
Elle chantait dans les catacombes, et elle chantait entre les mains des bourreaux.
Un fait historique qui n'a jamais été assez remarqué, c'est que les martyrs chantaient. Quelque crise que l'Eglise ait traversée, on n'a jamais pu obtenir qu'elle cessât de célébrer son éternelle vie, son éternelle victoire, et de la célébrer en chantant.
Si on voulait regarder l'histoire, on verrait que la sérénité est la tradition du christianisme. Elle y était du temps de Néron comme du temps de Charlemagne.
Le Credo lui-même se chante; il se chante essentiellement, parce qu'il n'est pas seulement l'énoncé d'une croyance; il est l'affirmation d'un amour et la promesse d'une victoire.
Dans les temps modernes, la menace morale de l'erreur a remplacé la menace matérielle de Néron : l'Eglise a opposé le même calme et la même harmonie.
L'erreur ne sait pas chanter. On ne lui prédit pas la mort, mais la mort lui arrive sans être prédite. La mort lui arrive spontanément, attirée par l'attrait du voisinage et la parenté. La mort ne se fait pas annoncer, mais elle arrive rapidement, sans façon, en voisine.
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Je conseille beaucoup à ceux qui ne croient pas de méditer ce mot tragique : le Saint.
Qu'ils essaient de s'expliquer le Saint ! S'ils s'arrêtent avant de rencontrer Dieu, ils ne trouveront pas la raison d'être du Saint.
Essayer de s'expliquer les Saints en dehors de Dieu, ce serait admettre les rayons d'un cercle dont on nierait le centre.
La langue humaine a, dans ses profondeurs, des preuves terribles. Le nom de Saint est incommunicable. On dirait qu'il dérive du nom de Dieu. Essayez de le transporter dans le domaine du mal, et sa résistance vous révèlera sa nature. Essayez, si vous êtes Luthérien, de dire saint Luther; essayez, si vous êtes voltairien, de dire saint Voltaire (je ne puis seulement pas écrire ce mot, ma plume s'arrête) : vous ne pourrez pas prononcer cette parole monstrueuse; mais fussiez-vous voltairien, vous direz: saint Paul, et, pour éviter cette épithète qui fait corps désormais avec les noms glorieux qui sont associés à elle, pour dire : Paul, au lieu de saint Paul, il vous faudra faire un effort, et cet effort sera, même à vos yeux, ridicule.
La personne et le nom du Saint sont le domaine sacré de Dieu
La vie des Saints nous oblige à nous placer en face de Dieu et en face de l'homme. Elle nous oblige à considérer la puissance et la faiblesse. Elle nous montre à quelle gloire nous pouvons être élevés, mais elle ne nous permet pas un moment d'oublier la boue dont fut pétri le corps d'Adam, et le péché qui empoisonna ce corps, qui était sorti sans tache des mains du Créateur.
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Un des caractères de l'Eglise catholique, c'est de penser à tout. L'oubli est chose humaine.
Un homme meurt: il s'élève sur sa tombe des cris de douleur : mais parmi ceux qui criaient, plusieurs bientôt ne pensent plus à lui, car le temps a passé.
Mais il reste un souvenir fidèle, le souvenir de l'Eglise. L'Eglise n'a pas crié sur la tombe u mort; elle a chanté. Mais quand ceux qui criaient ont oublié leurs cris, l'Eglise n'a pas oublié ses chants.
L'Eglise n'oublie rien, son vaste regard embrasse tout. Elle pense à l'enfer, elle pense à la terre, elle pense au purgatoire, elle pense au ciel.
Jamais les douleurs de ses enfants ne lui font oublier leurs joies: jamais leurs joies ne lui font oublier leurs douleurs. Elle pense à tout, prévoit tout, et tient lieu d'expérience à l'enfant qui l'écoute, comme elle tient lieu de jeunesse au vieillard qui veut la suivre. Jamais elle ne s'enfle et jamais elle ne se trouble. Elle donne à Dieu l'encens, et aux hommes le pain quotidien.
La conduite de l'Eglise vis-à-vis des morts devrait, ce me semble, inspirer à ceux qui doutent de graves réflexions.
Une mère oublierait son fils plutôt que l'Eglise.
Le dogme du purgatoire est une preuve saisissante de la vérité du catholicisme. La pratique que ce dogme inspire est une autre preuve de la même vérité. La prière pour les âmes du purgatoire est une chose sublime et magnifique, dont l'habitude seule nous empêche de nous étonner.
Cette prière monte au ciel pour des âmes inconnues qui sont dans un état à peu près inconnu, du moins à l'immense majorité de ceux qui prient. L'immense majorité de ceux qui prient n'a qu'une bien faible idée du besoin qu'on a d'elle: et cependant elle prie, car elle connaît l'existence d'un besoin quelconque.
A mesure que l'homme se rapproche de Dieu, la pensée du Purgatoire devient chez lui plus claire et plus présente. Plus l'homme s'approche de Dieu, plus il est uni aux besoins des hommes; plus son regard s'étend, plus son horizon visuel grandit, plus il est associé par celui qui sait tout aux désirs admirables de la miséricorde. Rien de plus faux que les pensées ordinaires des hommes sur le bonheur et le malheur. Peu d'hommes soupçonnent le fond de leur cœur, ils n'ont pas le temps, la vie est si pleine d'affaires !
Un des caractères les plus frappants et les moins remarqués de l'Eglise catholique, est celui-ci: Elle ne perd aucun moment.
Les secrets de l'Eternité lui révèlent l'usage du temps.
Les hommes sont absorbés par le temps et le perdent.
L'Eglise le domine et l'emploie.
Elle l'emploie parce qu'elle le domine. Elle pense au ciel, elle s'associe au grand Sanctus, et elle a, pour soulager les maux de la terre, des inventions divines, étonnantes et maternelles, qui saisissent ses ennemis, et l'indifférence même est forcée d'admirer.
Et pendant qu'elle vaque aux choses du ciel et de la terre, elle pense incessamment aux âmes du Purgatoire. Elle leur donne un des douze mois de son année.
Elle fait tout cela avec amour, et tout cela avec ordre.
Elle fait tout cela en chantant.
Elle chante l'Alléluia, elle chante le Credo, elle chante aussi le De profundis. 
Belles et saintes fêtes, vécues au rythme du chant de l’Eglise et du Cœur de sa Sainte Mère.