12 avril 2017

[Abbé Benoît Paul-Joseph, fssp - Philippe Maxence - L'Homme Nouveau] La Fraternité Saint-Pierre en France : des prêtres au service des âme

SOURCE - Abbé Benoît Paul-Joseph, fssp - Philippe Maxence - L'Homme Nouveau - 12 avril 2017

Nommé en 2015 supérieur du district de France de la Fraternité Saint-Pierre, l’abbé Benoît Paul-Joseph se réjouit du développement et de la diversité de l’apostolat de la Fraternité Saint-Pierre, enracinée avant tout dans l’Eucharistie.
L’Église va célébrer en juillet prochain le dixième anniversaire du motu proprio Summorum Pontificum du pape Benoît XVI. Quel bilan tirez-vous de son application en France?
Abbé Benoît Paul-Joseph : Un des objectifs du motu proprio Summorum Pontificum était de permettre un accès moins réglementé à la messe dite de saint Pie V, tant pour les prêtres que pour les fidèles. À ce niveau, le bilan est assurément positif et les chiffres – bien qu’ils ne disent pas tout – parlent d’eux-mêmes : en 2007, la France comptait 120 lieux de culte où la messe traditionnelle était habituellement célébrée (sans compter ceux de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X), elle en totalise aujourd’hui plus de 230. Il s’agit d’une progression de 91 % en dix ans ! Objectivement, la lettre apostolique du pape Benoît XVI a donc donné un nouvel essor à la liturgie tridentine et la multiplication des lieux de célébration révèle la joie de nombreux catholiques de pouvoir assister à la messe et recevoir les sacrements dans cette forme liturgique.

En même temps, des zones d’ombre demeurent puisque beau­coup de clercs ou de laïcs ne croient pas à la dimension missionnaire de la forme extraordinaire du rit romain. Ils la considèrent comme une liturgie destinée à des initiés, voire des privilégiés mais inadaptée à la « Nouvelle Évangélisation » prônée par les papes Jean-Paul II puis Benoît XVI. Pour eux, la richesse propre de la liturgie tridentine (permanence d’une langue sacrée, orientation commune du prêtre et des fidèles, signes de vénération envers la sainte Eucharistie) représente un obstacle pour les personnes vivant éloignées de l’Église. Bien évidemment, nous sommes convaincus du contraire…
La Fraternité Saint-Pierre, comme société de prêtres célébrant la forme extraordinaire, a-t-elle été freinée dans son expansion par cette autorisation donnée à chaque prêtre de célébrer selon les livres liturgiques de Jean XXIII dans n’importe quelle paroisse?
Effectivement, cela aurait pu être le cas : le motu proprio, en ­même temps qu’il accordait ce que nos fondateurs avaient toujours demandé, aurait pu amorcer le déclin de notre propre congrégation ! Dans les faits, nous n’avons jamais ressenti une véritable inflexion même s’il est probable que les dispositions prises par le motu proprio aient ralenti les demandes qui nous ont été portées. Cependant, nous sommes confrontés, en France, à une telle pénurie de clercs que les prêtres diocésains célébrant des messes dominicales selon le missel romain de 1962 (forme extraordinaire du rit romain) le font généralement en plus de leur ministère habituel et ne peuvent s’occuper davantage des fidèles attachés à la liturgie tridentine. Ce n’est pas le cas des prêtres de la Fraternité Saint-Pierre, totalement au service des communautés qui leur sont confiées : non seulement ils célèbrent la messe et administrent les sacrements, mais ils assurent également un soin pastoral complet à travers l’enseignement du catéchisme, l’aumônerie de groupes de jeunes, les visites aux malades, le développement d’œuvres caritatives, etc.
La Fraternité Saint-Pierre s’est implantée en France dès sa création en 1988. Peut-on, là aussi, à l’approche de vos trente ans d’existence, tirer un bilan de son rayonnement, de son implantation et de son apostolat dans notre pays?
Là encore, le langage des chiffres peut être éloquent et permet de porter un regard objectif sur le développement de notre Société cléricale. En octobre 1988, quand l’abbé Denis Coiffet reçoit, le premier, la responsabilité du district de France, la Fraternité Saint-Pierre est présente dans trois diocèses et dessert quatre apostolats. Trente ans après, nous sommes présents dans 36 diocèses de France et desservons 56 apostolats. Surtout, au fil des années, la Fraternité Saint-Pierre a considérablement élargi son champ d’activités missionnaires : si les apostolats de type paroissial demeurent majoritaires, nous sommes désormais présents dans de nombreux établissements scolaires, diffusons un parcours catéchétique complet (Les Trois Blancheurs), proposons plusieurs colonies d’été pour les jeunes de 6 à 28 ans, continuons de travailler à notre revue de formation Tu es Petrus, recevons des missions dans des hôpitaux ou des maisons de retraite, etc. (cf. p. 15) Mais, pour diversifiés qu’ils soient, ces apostolats sont tous enracinés dans notre attachement à la liturgie traditionnelle qui alimente notre vie spirituelle et irrigue notre ministère.
Il peut paraître étrange qu’une congrégation religieuse ait pour charisme la célébration d’une forme liturgique qui appartient au bien commun de l’Église. N’est-ce pas à terme porteur d’une crise d’identité ou, sans aller jusque-là, d’une nécessité de trouver un autre champ d’apostolat, plus spécifique?
À vrai dire, la spiritualité de la Fraternité Saint-Pierre est plus précisément eucharistique : elle consiste dans la sanctification des prêtres, appelés à conformer leur vie aux mystères célébrés à l’autel et à y puiser tout leur élan apostolique afin d’y ramener les âmes. Certes, selon nos constitutions, cela se réalise à travers l’attachement à la liturgie romaine dite traditionnelle, c’est-à-dire antérieure à la réforme de 1970. Par ailleurs, la Fraternité Saint-Pierre est un institut de vie apostolique, cela signifie qu’elle prévoit pour ses membres une vie communautaire sans vœux religieux et comprend en même temps une dimension apostolique comparable à celle des prêtres diocésains. En cela, la Fraternité Saint-Pierre est comparable à la Société de l’Oratoire fondée au début du XVIIe siècle par le cardinal Pierre de Bérulle qui est à l’origine de l’École française de spiritualité, laquelle place au centre de ses préoccupations la sanctification du prêtre.
Depuis quelques années, il semble que votre Fraternité se déploie plus particulièrement dans le domaine scolaire. Est-ce un secteur déterminant selon vous pour l’avenir de l’Église?
Permettez-moi de vous donner encore quelques chiffres : il y a dix ans, la Fraternité Saint-Pierre était présente dans 11 écoles hors contrat, à ce jour elle est présente dans 22 établissements et huit prêtres du district de France sont supérieurs d’une école primaire ou d’un collège-lycée. Il s’agit pour nous d’un véritable virage dans nos activités missionnaires. Certes, nous ne sommes pas une congrégation enseignante, mais ce développement a été dicté par le désarroi de nombreuses familles confrontées à la crise de l’enseignement (de la transmission devrais-je dire) qui sévit en France. Il y a deux cas de figure : soit une école hors contrat nous demande d’assurer l’aumônerie de l’établissement, soit l’actuelle direction souhaite nous transmettre la gestion et le supériorat de toute l’école. Dans le premier cas, pourvu que l’évêque du lieu nous en donne la permission, nous répondons positivement, dans le deuxième cas, nous tâchons d’estimer la viabilité du projet et, soit nous déclinons la proposition, soit – toujours si l’évêque le permet – nous nous acheminons de façon progressive vers la reprise de l’établissement. En effet, la gestion et l’administration d’une école hors contrat représentent un gros investissement non seulement financier mais aussi humain. Dans un cas comme dans l’autre, nos ressources restent limitées.
Dans tous les diocèses français, nous assistons à des regroupements de paroisses. Si les grands centres urbains s’en sortent encore en raison d’une certaine vitalité, les périphéries et la campagne connaissent une disparition quasi programmée du catholicisme. Quel rôle pourrait jouer votre Fraternité dans la réévangélisation de ces secteurs ? Serait-il possible, par exemple de vous imaginer intervenant dans le cadre de missions paroissiales ou dans d’autres types de missions ? Et, dans ce cas, la forme liturgique serait-elle un élément essentiel de la mission ou risquerait-elle d’être un handicap?
La déchristianisation des campagnes françaises est effectivement très triste et inquiétante. Pour autant, différentes voies existent pour juguler cette régression et la Fraternité Saint-Pierre pourrait participer davantage à la réévangélisation des zones rurales. Comme vous l’évoquez, notre congrégation pourrait se voir confier des missions paroissiales, c’est-à-dire des interventions ponctuelles dans des secteurs paroissiaux pour réveiller ou faire naître la vie chrétienne dans de nombreuses âmes. Cela passe par un premier contact humain, puis l’explication des vérités de la foi, l’administration des sacrements et évidemment la célébration de la messe, épicentre de la vie chrétienne. En outre, je suis convaincu que la Fraternité Saint-Pierre pourrait reprendre certaines paroisses périphériques afin d’y donner un nouvel élan grâce à la vie communautaire de ses membres, leur relative jeunesse et la richesse de la forme extraordinaire du rit romain qui, loin d’être un handicap, possède une force missionnaire exceptionnelle.
On parle beaucoup aujourd’hui de la réconciliation entre Rome et la Fraternité Saint-Pie X, fondée par Mgr Lefebvre. En toute honnêteté, si cela devait avoir lieu, quelle serait votre réaction ?
Il serait méprisable de ne pas se réjouir de la guérison d’un malade sous prétexte que sa santé pourrait nous faire de l’ombre. Non, une réconciliation entre la Fraternité Saint-Pie X et le Saint-Siège serait assurément une magnifique nouvelle, elle mettrait fin à une division qui blesse l’Église depuis bientôt trente ans. Certes, cela ne serait pas sans conséquences pour la Fraternité Saint-Pierre, mais cette dernière ne sert pas d’abord ses propres intérêts mais ceux de l’Église de Jésus-Christ. C’était l’esprit de nos fondateurs, c’est celui que nous désirons conserver.
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Fraternité Saint-Pierre, 5, rue Macdonald, 18000 Bourges. Tél. : 02 48 67 01 44.