11 avril 2018

[Robert Royal - The catholic thing] L’appel du pape François à la sainteté

SOURCE - The catholing thing - traduction de l'anglais par Yves Avril - 11 avril 2018

Au milieu des nombreuses et tristes conséquences des divisions que le pape François a exaspérées à l’intérieur de l’Eglise, nous sommes maintenant contraints de vivre avec une réalité incontestable : même quand il dit de bonnes choses – et il y en a beaucoup dans sa nouvelle exhortation Gaudete et Exultate –, celles-ci sont inévitablement entraînées dans la guerre de tranchées qu’il a contribué à créer.

Ses défenseurs font souvent valoir que l’opposition aux changements qu’il a présentés dans un document comme Amoris Laetitia provient de quelque chose qui ressemble à une “franciscophobie”, une aversion irrationnelle. C’est vrai que certains catholiques aujourd’hui montrent une sorte de furie aveugle à l’égard de ce que, croient-ils, il est en train de faire. Mais un plus grand nombre, comme Ross Douthat l’explique dans son livre à grand succès To change the Church (“Changer l’Eglise”), pensent que cela ne devait pas se faire de cette façon.

C’est tout à fait evident dans la façon dont Gaudete et Exsultate fait appel à beaucoup d’éléments traditionnels de la spiritualité catholique et les adapte pour un usage courant. Le pape affirme dès le début qu’il n’a pas écrit un traité détaillé sur la sainteté, bien que dans sa manière sinueuse et parfois contradictoire, il touche – forcément – à presque tout.

La visée d’ensemble est tout à fait juste :” Le Seigneur attend tout de nous, et en retour il nous offre la vraie vie, le bonheur pour lequel nous avons été créés. Il nous veut saints et non installés dans une douce et médiocre existence.”

Et la plupart des pages qui suivent montent les façons dont nous pouvons tous – quel que soit notre état de vie – emprunter ce chemin. Le pape François lance même vers la fin cet avertissement : 
“Nous n’admettrons pas l’existence du diable si nous nous obstinons à regarder l’existence seulement à partir de standards empiriques, sans une compréhension surnaturelle. C’est précisément la conviction que cette puissance mauvaise est présente au milieu de nous tous qui nous rend capables de comprendre comment le mal peut avoir parfois une force si destructrice… En conséquence, nous ne devrions pas penser le diable comme un mythe, une représentation, un symbole, une figure du discours ou une idée. Une telle erreur nous conduirait à baisser notre garde, à grandir de façon insouciante et à finir plus vulnérables… Quand nous baissons notre garde, il en prend avantage pour détruire nos vies, nos familles et nos communautés”.
Pourtant, en dépit de ces vigoureuses mises en garde, beaucoup de catholiques aujourd’hui sont circonspects et se demandent ce qu’impliquent ces sentiments du pape. Et il y a des problèmes particuliers, dont certains découlent du fait que François ne respecte pas la cohérence.

Par exemple :” Il n’est pas sain d’aimer le silence en se refusant à agir avec les autres, de vouloir la paix et le repos en évitant l’activité, de chercher la prière en négligeant le service. Tout peut être accepté et intégré dans notre vie en ce monde, et devenir une part de notre chemin vers la sainteté.”

C’est tout à fait vrai, bien sûr. Mais c’est peut-être aussi décrire un problème qui n’existe plus beaucoup dans le monde moderne – catholiques excessivement “spirituels” ou référence à des ordres religieux contemplatifs. L’Eglise admet beaucoup de vocations, y compris des vies contemplatives, qui dans le document reçoivent ailleurs des éloges.

Pour ma part, je souhaiterais que le pape ait insisté davantage sur la tradition catholique contemplative, qui va de pair avec quelque chose que les Occidentaux – spécialement les jeunes gens – recherchent dans le bouddhisme ou l’hindouisme. Au contraire il multiplie les pages pour dénoncer des formes contemporaines d’hérésies gnostiques ou pélagianistes, qui existenr. Mais c’est assez évident que nous ne devrions être ni trop “d’un autre monde” ni “du monde”.

C’est à chaque lecteur de juger pour lui-même. Mais à mon avis, au milieu de bons aperçus, le pape semble se battre contre un monde qui a peut-être existé autrefois, mais qui n’existe plus beaucoup. Son insistance ici et ailleurs à détourner le peuple d’une connaissance théologique “abstraite” ou d’une spiritualité excessivement individuelle, pour un amour par ailleurs louable de Dieu et du prochain, qui vise-t-elle exactement aujourd’hui ?

On serait d’accord si les universités catholiques, les séminaires, les chancelleries, les associations charitables, les hôpitaux, les aides sociales, les groupes de laïcs etc. étaient remplis de gens s’accrochant de façon rigide et réductrice à des formules théologiques vides – comme François semble souvent le suggérer. La réalité, comme les commentateurs laïques eux-mêmes le reconnaissent, c’est que nous vivons dans monde post-vérité, profondément chaotique, de même que l’Eglise. Rechercher des principes stables pour n’être pas balayés par le tsunami du sécularisme et de l’hétérodoxie n’est pas “rigidité” mais bon sens.

Je l’ai déjà dit, mais dans les circonstances où nous vivons, le fameux “hôpital de campagne’ de François a besoin de docteurs qui ont étudié une vraie médecine. Autrement ils peuvent avoir une bonne manière de se comporter avec les malades, mais ils ne peuvent rien soigner vraiment.

Il y a plus. Les “pro-vies” ont été heurtés dès le début du pontificat par son langage dur à l’égard des catholiques “obsédés” et “insistants” à propos de l’avortement. Ils seront une fois encore blessés par sa propre insistence : des questions sociales comme la pauvreté et l’immigration sont des questions de vie “également sacrées” comparées avec la mort violente dans l’utérus et à la fin de la vie.

Cette version de “la tunique sans couture” est en contradiction avec ce que l’Eglise a enseigné depuis que la légalisation de l’avortement est devenue courante. Les chiffres ne disent pas toute l’histoire, mais si, disons, les agents à la frontière américaine tuaient chaque jour 3000 personnes essayant d’entrer dans le pays (en gros le nombre d’enfants tués par jour dans le sein de leur mère), le monde entier en serait indigné.

Les réfugiés par exemple devraient être l’objet d’une profonde implication de la part des chrétiens, mais la façon de se comporter avec eux est une question de jugement prudentiel, et non un absolu comme l’interdiction de tuer une vie innocente.

Les peuples du monde savent que l’accueil de l’étranger pose de multiples questions. Partout en Europe – de la Grande-Bretagne à la Pologne, de la Scandinavie à la Hongrie – il y a une réaction populiste contre l’admission facile d’immigrants difficiles à intégrer, immigrants qui sont souvent, non des réfugiés fuyant la guerre et l’oppression, mais des émigrants économiques cherchant une vie meilleure. Les Etats-Unis et même le Mexique assurent la police de leurs frontières, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, et toute nation de bon sens.

En dépit de ces questions, les catholiques tireront profit de la lecture de ce texte. Il contient beaucoup de choses dans la tradition qu’il est bon de présenter à nouveau. D’ailleurs, le défi spirituel peut-être le plus important pour les catholiques dans le monde moderne est de savoir pratiquer une authentique spiritualité même dans la division – et de trouver les ressources spirituelles profondes qui peuvent nous aider à dépasser cette division.